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Russell Maliphant Company au Théâtre des Champs-Elysées - Jeux d’ombres - Compte-rendu

C’est une drôle d’aventure qu’un spectacle exclusivement consacré au travail de Russell Maliphant, le chorégraphe canadien dont Sylvie Guillem, dans sa quête permanente, s’est faite le porte-flambeau, tout comme Nicolas Le Riche, qui l’a intégré à son spectacle Itinérances. Une aventure de pur geste, où le visage n’existe guère, un océan d’ondulations où l’intime de la sensation, de la recherche corporelle se mêle à une forte dimension plastique, sans que pour autant on en soit ému, mais juste intéressé, puis un peu étouffé par cette surabondance de gestes qui s’autodévorent.
 
Sur scène, quatre danseurs, en figures éclatées, solos ou duos, tel est le petit groupe que nous propose la saison TranscenDanse avec cette mini compagnie : garçons aux somptueuses statures et musculatures, venus de mondes divers, comme le popping ou le boogaloo, une ballerine liane plus classique, la fine Carys Staton aux immenses bras effilés, et des pièces  enchaînées sur le même modèle dans une quasi obscurité, élégamment animée par des lumières intermittentes, qui découpent le mouvement et l’amplifient. On en reçoit  la vision d’un admirable travail de bras, en une sorte de flux et de reflux : un mouvement perpétuel hésitant entre danse indienne et tournoiements de derviches, qui contraste avec l’ancrage des corps au sol, car de saut, d’élévation, ici il n’y a guère.
 
Dans ce langage répétitif, même s’il faut y voir un travail de dentelle pas immédiatement perceptible, et qui s’appuie sur des musiques également répétitives comme celle de Mukul Patel, ou désaxées, au sens premier du mot, ainsi celle d’Erik Satie, on perçoit bien les influences qui ont fait Maliphant, l’école du Taïchi, l’immobilité cinétique de Carlson, les lumières d’Alwin Nikolais, le déséquilibre de Bill Forsythe, et peut-être même un soupçon de flamenco, car tout se déroule dans un étroit périmètre, comme si l’espace n’était plus qu’intérieur, corps enracinés dans leur support, et portés par un souffle dont le sens nous échappe souvent. Bref, du très beau contraste des deux danseurs dans Still, qui ouvre la soirée, au long Still Current qui la termine, en passant par un Critical Mass décevant, après After light et Two, on admire, on attend que quelque chose se passe, on s’endort un peu mais joliment et l’obscurité permanente y aide beaucoup.
 
Jacqueline Thuilleux
 
 Paris, Théâtre des Champs Elysées, 20 mai 2015
 
Photo © Warren Du Pree & Nick Thorton Jones

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