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Rusalka à l’Opéra Bastille - Pâle reflet – Compte-rendu

Rusalka de Dvorak à l'Opéra Bastille

On ne peut que se réjouir de voir revenir Rusalka (1901), partition sublime, frissonnante de mystère et d’extases refoulées, sur la scène de l’Opéra de Paris - qui n’a intégré à son répertoire le meilleur des dix opéras de Dvorak que vingt ans après Marseille, en 2002, dans cette même production de Robert Carsen. Salué à l’époque par la critique, le spectacle (et sa distribution d’origine : Fleming, Larin, Hawlata, Conlon) a d’ailleurs connu l’honneur du DVD.
Avouons cependant qu’à force de se croire finaude, cette scénographie chic et mode finit par nous agacer. Recyclant son coutumier fétichisme lynchien (oreillers, chaises et nuisettes), Carsen affecte d’avoir tout compris des symboles spéculaires tissant ce conte (lointainement) inspiré de La Petite Sirène d’Andersen : l’Acte I se passe « sous » la surface d’une piscine, tandis qu’à l’Acte II, un miroir divise la scène en deux reflets inversés. « Que c’est intelligent ! », s’extasie le parterre à l’entracte. Comme s’il s’agissait pour un metteur en scène d’avoir toujours une saillie spirituelle à porter sur l’œuvre ou de résoudre une énigme ! Mais faire de l’ondine une desperate housewife frigide qui, enfin, s’ouvre au désir dans la chambre conjugale, n’est-ce pas un peu court ? Quid de la magie, du mystère, de l’étrangeté de l’univers tchèque, quid, surtout, des murmures de la nature qui irriguent toute la partition ?
 Ici, la rencontre des amants venus de deux mondes différents reste prosaïque et leur baiser de mort désespérément trivial. Basta, « c’est intelligent », cela suffit au public - et, heureusement, les fascinantes lumières et projections de Peter Van Praet réenchantent un décor qui paraît venu de chez Habitat.
 
La nouvelle distribution réunie par l’Opéra ne prétendait pas égaler celle de la création et a d’ailleurs connu plusieurs modifications. La plus gênante semble avoir été le remplacement du ténor initialement prévu (Khachatur Badalyan), car si Pavel Cernoch assure avec efficacité la partie du Prince, dont il parvient même à filer les aigus pianos du tristanesque duo final, son timbre étroit et son chant sec ne rendent guère justice à un rôle immortalisé par Zidek, Blachut ou Ochman ! Ce n’est pas non plus par les qualités de son timbre, assez rude, que la jeune soprano pétersbourgeoise Svetlana Aksenova (alternant avec Kristine Opolais en Rusalka) se sera fait remarquer : mais cette voix corsée, au médium bien assis, sait parfaitement doser tension et détente, affronter sans faiblir le crucifiant premier Acte et moduler avec un art consommé le legato de ses deux airs (la romance du III étant particulièrement réussie).
Même science du chant chez l’Ondin, tout d’élégance et d’onction, de Dimitry Ivashchenko : si le timbre un peu clair et l’expression placide ne font pas oublier les grands tenants du rôle (Haken, Hawlata), son air de l’Acte II dégage une réelle émotion. Seule rescapée du cast originel, Larissa Diadkova campe une Sorcière rocailleuse, aux registres certes disjoints, mais à la puissance confondante. Les trois Nymphes, dont le trio de l’Acte III a été raccourci, sont convaincantes, la Princesse étrangère d’Alisa Kolosava raisonnablement sensuelle, le Garde-forestier (Igor Gnidii) et le Chasseur (Damien Pass) mélodieux, mais le Marmiton de Diana Axentii très insuffisant (dans le DVD, le rôle est tenu par Karine Deshayes…). On notera le bon apport du chœur, y compris dans les (nombreux) moments où il résonne en coulisses.

A la baguette, Jakub Hrusa paraît vouloir insister sur l’expressionnisme de la musique (l’apparition de Jezibaba, une fantastique Polonaise) au détriment, souvent, de sa vitalité – le Prélude apparaît statique et la scène des domestiques, au début de l’Acte II, manque totalement de truculence. Peut-être l’Orchestre de l’Opéra (aux bois ravissants mais dont les cors semblent à la peine) manque-t-il de familiarité avec ce répertoire, mêlant bonhommie populaire et fantastique ?  Mais il faut compter avec une salle immense, qui, sans doute, a imposé cette vision globalement impressionnante mais peu touchante.
 
Olivier Rouvière
 
Dvorak : Rusalka – Paris, Opéra Bastille, 7 avril ; prochaines représentations les 10, 13, 16, 18, 23 et 26 avril 2015.
http://www.concertclassic.com/concert/rusalka-de-dvorak

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