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Rudolf Buchbinder et la Staatskapelle Dresden jouent les Concertos de Beethoven au Festival de Pâques d’Aix – Rencontre au sommet – Compte-rendu

Rudolf Buchbinder (photo, né en 1946) compte parmi les plus considérables pianistes de notre époque et ... parmi les plus méconnus du public français. Mystère des carrières et des choix des programmateurs ...  On sait gré au 7ème Festival de Pâques et à son directeur artistique, Renaud Capuçon, d’avoir réparé un peu de cette injustice en conviant l’artiste autrichien pour une intégrale des concertos de Beethoven qui restera inscrite dans les annales du rendez-vous musical aixois.

Intégrale d’autant plus marquante que Buchbinder, ici dans le double rôle de soliste et chef, avait pour partenaires les musiciens de la légendaire Staatskapelle Dresden. Une journée « marathon » ? Sans doute puisqu’il s’est agi pour les interprètes d’offrir les cinq opus en deux concerts (Concertos  nos 2, 4 et 3 à 11h ; nos 1 et 5 à 20h30). Pourtant, jamais durant cette intégrale l’auditeur n’aura ressenti une quelconque impression de « performance », les protagonistes demeurant concentrés sur la seule musique, étrangers à l’effet, au tape-à-l’œil, à toute dimension « sportive ».
Humanité, style et noblesse distinguent l’approche de Buchbinder, un exceptionnel sens du dialogue musical aussi. Celui-ci s’impose dès le Concerto n° 2 qui ouvre le premier concert. Pureté classique parcourue par bien des « prédictions » – pour faire référence à la formule célèbre de Charles Rosen – : Buchbinder, suivi par des instrumentistes attentifs aux plus infimes inflexions de son propos, montre d’emblée son intime compréhension d’un génie entre deux époques ; entre deux continents stylistiques. Les mouvements vifs de l’Opus 19 se déploient avec élan mais sans rien d’inutilement démonstratif ; ils savent respirer, tout autant que l’Adagio, d’une tendre et secrète poésie.
 

Rudolf Buchbinder © DR

Un art du timbre se fait jour dans cette partition de jeunesse et culminera dans le 4ème Concerto dont le soliste saisit toute l’originalité avec un jeu d’une fluidité et d’une luminosité admirables. Quel art de la pédalisation (ces demis, ces quarts, ces vibratos de pédale ...) ; il lui permet de modeler la phrase et d’en saisir continûment l’énergie rythmique. Un grand beethovénien est à l’œuvre, tout aussi remarquable dans l’Adagio – vraiment – con moto, suivi d’un Rondo qui sait être piaffant tout en conservant sa dimension lyrique.

Œuvre charnière dans le corpus des 5 Concertos, le 3ème en ut mineur s’engage avec ce qu’il faut d’autorité mais sans rien d’outrancièrement martial ou roide. C’est d’abord la dimension symphonique, la richesse de l’échange avec l’orchestre que l’on retient d’une interprétation fouillée, intensément vécue. Assis sur des basses profondes mais point envahissantes (quelle main gauche !), le jeu de Buchbinder émeut par son lyrisme pudique dans le Largo – et que de merveilles le bois nous offrent-ils ! –, avant d’emporter le Rondo avec jeunesse et fierté.
 

Rudolf Buchbinder et la Staatskapelle Dresde © Caroline Doutre

Quelques heures plus tard, le soliste et les musiciens de la Staatskapelle sont de retour sur la scène du Grand Théâtre de Provence pour les Concertos nos 1 et 5. Pas une once de fatigue ne fera sentir au cours de la soirée ; la musique est abordée avec la même fraîcheur que le matin. Le Concerto en ut majeur sait être tout à la fois respectueux de l’héritage dont il est porteur et débordant d’envie de repousser les limites de la forme concertante. Et quelle radieuse harmonie le soliste parvient-il à installer avec l’orchestre dans le Largo central, sorte de grande prière panthéiste qui préfigure l’Adagio du 5ème Concerto.

L’ « Empereur » s’impose avec la même évidence que tout ce qui a précédé depuis le matin. Buchbinder fuit les effets de manche pour continûment souligner l’originalité d’un grand concerto symphonique dont l’exemple comptera beaucoup pour la postérité. En totalement osmose avec les membres de la Staatskapelle, qui lui offrent une réplique aussi vivante que nuancée – on assiste à de vrais miracles du côté des violoncelles et des contrebasses ... (c’est enfoncer une porte ouverte que de le dire mais ... quel somptueux orchestre !) –, l'interprète signe un Concerto en mi bémol majeur ardent et épuré, d’une noblesse qu’il n’est pas donné d’entendre tous les jours. Magistrale conclusion d’une mémorable journée beethovénienne que le pianiste, malgré la standing ovation immédiate de l’auditoire, a eu la princière élégance de ne prolonger par aucun bis.

Alain Cochard

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 27 avril 2019.
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