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Roland Petit au Capitole de Toulouse - Bonnes et belles bases – Compte rendu

La danse, on le sait bien, est plus encore que les notes, qui peuvent être écrites, l’art de  l’instant. Mais cet instant, qui s’évapore si rapidement, est moins fugace s’il est nourri d’un autre message que celui que décèle un regard trop rapide, juste frappé par des qualités plastiques ou émotionnelles tout au plus. Pouvoir accrocher la nouveauté du travail d’un créateur, l’époque qu’il raconte, permet un vrai voyage dans son imaginaire autant que dans sa réalité et s’inscrit d’autant mieux dans nos mémoires. C’est ce pari qu’a entrepris Kader Belarbi avec le Ballet du Capitole en revisitant des classiques ou en faisant découvrir aux spectateurs d’aujourd’hui la richesse d’œuvres qu’on croit vidées, alors que la réaction du public montre qu’il ne demande qu’à les découvrir.
 
De Roland Petit, que l’on dit démodé, ou tout au moins daté, et cela est certes vrai pour nombre de ses ballets, reste la trace d’un chorégraphe aux idées foisonnantes, à la vision dramatique puissante, au langage rigoureux autant qu’accrocheur. Un homme riche de formidables rencontres artistiques, puisqu’avant de s’installer à Marseille, sur la demande pressante de Gaston Defferre, il côtoya la fine fleur des musiciens, cinéastes, comédiens, compositeurs, peintres, ou décorateurs, de Paname à Hollywood, de l’après-guerre jusqu’à sa mort en 2011. Un grand créateur, dont il faut sélectionner les pièces marquantes. A preuve l’accueil enthousiaste que lui a réservé le public toulousain, notamment pour L’Arlésienne, l’un de ses plus grand chefs d’œuvre, et qui n’a pas pris une ride, tant son traitement à l’os sur la terrible musique de Bizet, martèle avec une sécheresse fatale la folie qui bat aux tempes d’un homme obsédé par sa passion.

Les Forains © David Herrero
 
Kader Belarbi a donc construit un programme Roland Petit pour mieux le faire connaître du public toulousain, lequel n’a pas eu la chance du parisien ou du marseillais - à l’exception des Forains, déjà donné lors d’une soirée Sauguet en 2014. Et il sait de quoi il parle, car il l’a vécu de près lorsqu’il fut l’un des interprètes privilégiés du chorégraphe à l’Opéra de Paris, dans Carmen ou Notre Dame de Paris notamment.  
 
Des Forains, sorte de mise en bouche poétique, au charme volontairement fané, à la grâce un peu piteuse, on sait que ce ballet marqua le début de la grande carrière de Petit, en 1945. Imprégné des remugles d’une époque glauque, dont l’art de la rue permet ici une sorte de parabole, il parle d’une renaissance grâce aux grands hommes de spectacle qui le portèrent sur les fonts baptismaux au Théâtre des Champs-Elysées, à savoir Henri Sauguet, Boris Kochno, Christian Bérard. De doux danseurs enchaînent des numéros un peu tristes tant le contexte évoque la pauvreté, et les artistes du ballet toulousain y sont délicieux, notamment le beau Prestidigitateur de Minoru Kaneko et l’élégance de Juliette Thélin en Belle Endormie. Plus que de performances, c’est ici un ballet d’atmosphère.
 
L’Arlésienne et Carmen, qui complètent la soirée, tous deux dans la production de l’Opéra de Paris, sont au contraire de forts enjeux, des histoires terribles qui requièrent des interprètes violents, puissants, aux fortes présences. L’Arlésienne surtout, créée pour l’incroyable Rudy Bryans en 1974 : elle secrète une lourde angoisse et comme toutes les œuvres fondées sur une progression hystérique, provoquent une véritable secousse libératoire lors du saut final dans l’abîme de Frédéri, le héros. Les plus grands interprètes se sont livrés à  cette danse de mort et  il faut pouvoir la porter : ici, en alternance avec Ramiro Gomez Samon, Belarbi a donné sa chance à une pépite, Philippe Solano : l’impeccable technique de saut, tours parfaits et surtout  une vraie présence dramatique qu’il lui faudra évidemment mûrir. Le contraste avec la douce Alexandra Surodeeva est prenant.

 Carmen © Daid Herrero

Quant à Carmen, elle est un mythe, et continue sur sa lancée, depuis sa création en 1949. Plus que  L’Arlésienne, tout en noir et blanc, chemises et chignons serrés, farandoles austères, elle porte en elle les défauts et les coups de génie du créateur. Les ensembles avec ses cigarières échevelées aux jambes écartées racontent une époque, celle d’une tentative d’expressionisme à la française, mais la caractérisation de l’héroïne reste un grand moment avec son travail d’éventail et de pieds qui claquent. Quant à la scène finale, tendue à craquer,  vrai moment de tauromachie juste soutenu par des percussions, elle est sidérante.
Là aussi, la figure centrale est marquée par le souvenir de sa créatrice, Zizi Jeanmaire, qui lui donna sa coiffure inattendue pour une gitane, et ses jambes sublimes. Ici, c’est la jolie Kateryna Shalkina qui la campe, avec plus de charme que de violence, plus séduisante que fatale. Une autre vision du rôle, qui ne lui enlève pas son glamour. Et Don José, rôle difficile parce qu’écrasé par sa partenaire avant la lâcheté suprême de son crime, trouve en Rouslan Savdenov un partenaire de classe. Enfin c’est toujours un régal de voir s’ébrouer David Galstyan, ici sous la perruque rouge du chef bandit. Vigoureusement mené par le chef Enrique Carreon-Robledo, l’Orchestre du Capitole n’a pas boudé son plaisir.
 
Jacqueline Thuilleux

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Ballet du Capitole/Roland Petit, Théâtre du Capitole, Toulouse, le 13 mars 2018.
 
Photo (L'Arlésienne) © David Herrero

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