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Roger Muraro donne un inédit pour piano d’Olivier Messiaen à Tokyo – Somptueuse création – Compte-rendu

Interprète majeur de la musique pour piano d’Olivier Messiaen – compositeur qu’il a rencontré en 1986 et dont il n’a de cesse de transmettre l’héritage –, Roger Muraro s’est attelé pendant deux ans et demi à l’organisation d’une partition jusque-là incomplète, Les Fauvettes de l’Hérault – concert des garrigues. Il vient de la présenter en création mondiale à Tokyo.

Roger Muraro en récital au Toppan Hall © Michiharu Okubo
 
Le premier soir, Roger Muraro se produit dans la Symphonie sur un chant montagnard français de Vincent d’Indy avec le Tokyo Metropolitan  Symphony Orchestra, l’une des neuf phalanges de la capitale japonaise que dirige Kazushi Ono au Metropolitan Theatre (2000 places). Deux jours plus tard, récital au Toppan Hall, lieu plus intime à l’acoustique exceptionnelle : ce bel écrin (situé à proximité du Musée de l’Imprimerie) a été construit en 2000 dans le complexe du Toppan Koishikawa Building. Masashi Nishimaki assure la direction de la partie artistique d’une salle accueillante à la programmation éclectique où l’on peut entendre des artistes de renom : Nathalie Stutzmann, Jean-Claude Pennetier, Alexandre Tharaud, Emmanuel Pahud, Eric Le Sage, Till Fellner, Leonidas Kavakos, Régis Pasquier, Antoine Tamestit, Renaud Capuçon, David Kadouch … et de nombreux musiciens japonais. Atmosphère chaleureuse rappelant celle du Wigmore Hall de Londres.

Masashi Mishimaki, directeur artisitique du Toppan Hall © Setsu Inoue

Les Fauvettes de l’Hérault – concert des garrigues, s’inscrivent dans le parcours personnel de Messiaen, « compositeur, ornithologue et rythmicien » devant l’Eternel. Après avoir achevé Chronochromie (1960), il reçoit du Ministère des Affaires Culturelles d'André Malraux la commande d’un concerto pour piano dans la perspective du Centenaire de Debussy de 1962. C’est précisément à cette époque qu’il découvre le Japon, où il est invité avec Yvonne Loriod qu’il vient d’épouser. L’euphorie ressentie à la découverte des traditions de ce pays et de son originalité se traduira par la composition des Sept Haïkaï  (pour piano solo et petit orchestre) dans lesquels il introduit des chants d’oiseaux entendus au Parc de Karuizawa ; il abandonne donc l’idée d’un concerto bien que la partie soliste soit terminée et quelques bribes d’orchestration esquissées.
Ce manuscrit déposé avec le Fonds Messiaen à la Bibliothèque Nationale après la mort d’Yvonne Loriod était connu de spécialistes. En revanche, parmi les centaines de cartons déménagés du domicile du compositeur rue Marcadet et de sa maison d’été de Petichet en Dauphiné et inexploités, se trouvait la partition complétée de piano avec les pages numérotées qui apportaient des éléments nouveaux. Grâce à la Fondation Messiaen, Muraro aidé de Marie-Gabrielle Soret, conservatrice de la BnF, a pu en assurer la résurrection - travail colossal !
 
A Tokyo, l’événement suscite une certaine fébrilité et la tension pèse sur les épaules du pianiste au début du concert. Les Scènes de la forêt de Schumann ouvrent le programme, avec une belle liberté de ton.
La pièce de Messiaen (d’une vingtaine de minutes), en trois grandes parties d’une difficulté redoutable reliées par des tuilages subtils, possède une réelle force d’impact. De caractère minéral, avec une dimension abrupte marquée par des silences accusés, Les Fauvettes de l'Hérault font place aussi à la sensualité tout en demandant une énergie que seul un pianiste aguerri comme Muraro peut déployer. S’y succèdent l’alouette lulu, le coucou geai, la fauvette passerinette, le loriot, le cochevis huppé, l’hypolaïs polyglotte au cours d'une progression culminant dans la partie centrale et s’achevant par un émouvant choral de caractère cosmique.
En seconde partie, le Livre I des Etudes de Debussy est servi somptueusement par une interprétation engagée mettant en valeur toutes les ressources expressives de l’instrument. Vrai rêve éveillé que le nocturne de Chopin donné en bis ...

Durant le symposium Messiaen ... © Michiharu Okubo

La veille, en présence de Roger Muraro, un symposium – animé par Yuji Numano – était organisé dans le même lieu, fournissant un éclairage très substantiel grâce à des diapositives et des exemples au piano sur la genèse de l’œuvre et la présentation du manuscrit. Une table ronde rappelait ensuite l’importance de Messiaen dans la musique d’aujourd’hui, son influence sur le courant spectral, les relations avec Boulez… Atmosphère recueillie devant un public particulièrement attentif et soucieux de pénétrer un univers dont il est un fin connaisseur. Après Tokyo, Les Fauvettes de l’Hérault – concert des garrigues seront proposées par Roger Muraro en création européenne fin 2017 à Lugano et à la Philharmonie de Liège puis au Festival Présences de Radio France en février 2018. Un moment exceptionnel et une découverte à marquer d’une pierre blanche.
 
Michel Le Naour

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Tokyo, Metropolitan Theatre et Toppan Hall, du 21 au 23 juin 2017

Photo Roger Muraro © Bernard Martinez

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