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« Rienzi est un ouvrage à dimension politique d’un bout à l’autre » - Une interview de Jorge Lavelli, metteur en scène

C’est l’un des événements lyriques hexagonaux de ce début de saison : quelques mois seulement après Philipp Stözl à la Deutsche Oper Berlin, Jorge Lavelli se confronte à Rienzi sur la scène du Théâtre du Capitole de Toulouse. Bien que très absorbé par les répétitions, il a pris le temps de répondre aux questions de concertclassic au sujet de ce qui constitue la deuxième incursion de sa carrière en terre wagnérienne. Cinq représentations du 30 septembre au 14 octobre ; Torsten Kerl tient le rôle-titre, sous la direction de Pinchas Steinberg.

Quel regard portez-vous sur Rienzi ?

Jorge LAVELLI : Comme vous le savez, j’ai mis en scène de nombreux opéras mais, jusqu’à présent, je n’ai guère abordé ceux de Wagner. Ma seule expérience en la matière est une production du Vaisseau fantôme que j’avais montée au San Carlo de Naples en 2003, dans des conditions difficiles. Quand le Théâtre du Capitole m’a demandé de réaliser Rienzi, je me suis très vite rendu compte de la modernité de cette œuvre. Je n’ai donc pas cherché à faire une reconstitution historique ni à placer les personnages dans leur époque. Rienzi est un ouvrage rare et à dimension politique d’un bout à l’autre. J’ai préféré placer l’action à l’époque de Wagner dans une société industrielle en crise, voire en décadence.

Le décor, constitué de fer et d’acier, assez austère, oxydé et rongé par le temps, permet une excellente disposition acoustique pour les chanteurs (comme à l’acte II, la représentation de la tribune). Ce qui m’intéresse dans le personnage de Rienzi, c’est la noblesse de son attitude, sa passion de la liberté, de défenseur des droits des plébéiens qu’il représente. Le revirement du peuple qui, après avoir encensé son héros brûle ce qu’il a aimé, me paraît toujours d’actualité !
En outre, on est en présence d’un opéra à portée philosophique qui transcende les siècles. Dans une certaine mesure, Wagner est le miroir de son personnage et n’est pas encore cette légende qui s’identifiera à Bayreuth. Il s’intéresse à des idées politiques qu’on qualifierait aujourd’hui d’anarchistes ou de « gauchistes » ; d’ailleurs, il entrera quelques années plus tard en contact avec Bakounine et montera sur les barricades de Dresde en 1848.

A l’acte II, au moment de la réception des ambassadeurs dont celui d’Italie, il faut imaginer que l’Unité italienne est en gestation. Il existe aussi une dimension religieuse avec l’exaltation de l’idée chrétienne du sacrifice. A l’acte IV, que j’aime particulièrement, Rienzi est mis au banc de l’église alliée à la noblesse, et la foule se détourne de lui et de la République. Cet opéra dure plus de sept heures et contient des longueurs, en particulier dans les redites du livret. Je ne suis pas opposé à la répétition en tant que telle car elle peut avoir une force, une énergie concentrée et prendre en compte la dimension du temps. Il a fallu procéder à des coupures pour rester dans une épure de près de quatre heures ; j’ai pourtant tenu à ce que l’on conserve certains éléments essentiels comme, par exemple, un chœur de moines d’une grande beauté musicale que l’on voulait supprimer.

Comment concevez-vous la mise en scène et la caractérisation des personnages ?

J.L. : Cette production exige beaucoup d’engagement, ce qui est épuisant. Il faut coordonner les équipes en un minimum de temps de répétition, attacher du prix à la psychologie individuelle et aux sentiments collectifs, ordonner les scènes de batailles… Souvent chez Wagner, les chœurs ont une place déterminante (comme au début de l’acte III) et la foule une fonction essentielle dans le drame, personnage à part entière dialoguant directement avec le héros du drame.

Dans mes mises en scène, j’aime raconter une histoire, travailler avec les corps, donner vie à l’action. Je n’aime pas cette vieille manie de l’opéra consistant à traiter les ensembles en gros plans figés. Rienzi est habillé en cotte de mailles car il doit se protéger de ses ennemis mais les autres protagonistes sont vêtus de costumes colorés dont j’ai confié la conception à Francesco Zito avec lequel je collabore depuis de nombreuses années.

Le rôle-titre est chanté par le ténor Torsten Kerl, un véritable ténor héroïque. Il lui faut beaucoup d’énergie, de charisme, car l’opéra possède une force musicale, une ampleur qui suit une progression dramatique jusqu’à la fin tragique de Rienzi lâché par ses compagnons d’armes, trahi par la noblesse et qui meurt dans le Colisée en flammes. Au-delà de la violence existe un conflit entre la politique et les sentiments ; à cet égard, le personnage qui me passionne particulièrement est Adriano, le fils du patricien Stefano Colonna. Il est amoureux d’Irène, la sœur de Rienzi, mais est victime de son appartenance sociale. Ce rôle travesti d’Adriano est chanté par une soprano et je suis très satisfait du travail avec Géraldine Chauvet ; c’est une véritable artiste qui donne beaucoup de vraisemblance à ce personnage entre deux eaux, à la sensibilité à fleur de peau. Il faut que le public ressente ses inquiétudes, ses angoisses, son désarroi. Ce n’est ni facile à capter ni à réaliser.

Après Rienzi, quels sont vos projets ?

J.L. : En 2013, je reviendrai vers le théâtre et délaisserai pour un temps l’opéra : au printemps, je me consacrerai à la mise en scène de la pièce d’un jeune auteur, Frédéric Pommier, intitulée Le Prix des boîtes. Elle sera donnée au Théâtre de l’Athénée Louis Jouvet (du 21 mars au 13 avril). Dans mon activité présente, je m’intéresse davantage à la découverte - ce qui est le cas avec Rienzi -, plutôt que de revisiter les grands classiques. C’est une entreprise très vivifiante et très enrichissante pour l’esprit.

Propos recueillis par Michel Le Naour le 10 septembre 2012

Théâtre du Capitole de Toulouse
Wagner : Rienzi, le dernier des tribuns
Le 30 septembre et les 3, 7, 10, 14 octobre 2012
Toulouse - Théâtre du Capitole
www.theatre-du-capitole.org

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Photo : David Ruano
 

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