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Richard Cœur-de-Lion de Grétry au 9ème Midsummer Festival du Château d’Hardelot – Vision intimiste – Compte-rendu

On l’a déjà dit et redit, on ne se lasse pas de le répéter, le Théâtre élisabéthain d’Hardelot (signé de l’architecte britannique Andrew Todd) est l’une des plus belles salles construites ces dernières années en France - et le seul et unique exemple de théâtre élisabéthain permanent dans l’hexagone. 388 places seulement (298 en configuration lyrique avec fosse) : un lieu intimiste certes mais qui, par-delà sa réussite esthétique et sa parfaite intégration au parc du château d’Hardelot (une construction fin XIXe d’un kitch délicieux, récemment restaurée, posée en plein milieu d’un magnifique espace naturel), présente une acoustique tout à la fois chaleureuse et miraculeuse de précision. Le département du Pas-de-Calais et la Région Hauts-de-France disposent là d'un outil culturel de premier ordre, pour le concert comme l’enregistrement (domaine dans lequel le lieu est à n'en pas douter promis à un grand avenir).
 

Le Théâtre élisabéthain d'Hardelot © Martin Argyroglo

Inauguré en juin 2016, le Théâtre élisabéthain aura attendu 2018 pour que sa fosse soit pour la première fois utilisée. Là encore, la réussite acoustique est d’évidence totale. La compagnie rémoise Les Monts du Reuil aura eu le privilège d’étrenner cette disposition, à l’occasion d’une représentation de l’opéra-comique Richard Cœur-de-Lion (1784) de Grétry (1741-1813). Bien que rare à la scène, l’ouvrage est, pour l’un de ses airs, assez universellement connu : à la partition du compositeur belge, Tchaïkovski a en effet emprunté le « Je crains delui parler la nuit » que chante la Comtesse à l’Acte III de la Dame de Pique.
 

© Pascal Brunet

© Pascal Brunet

Outre qu’il a contribué à lancer la mode des sujets médiévaux à l’opéra, Richard Cœur-de-Lion est le prototype de l’ « opéra à sauvetage », illustré un peu plus tard par le Fidelio de Beethoven.
Ici (le livret de Michel Jean Sedaine s’inspire de faits historiques des années 1190), le roi Richard, de retour de la troisième croisade, a été fait prisonnier en Autriche, au château de Linz, et les trois actes que durent l’ouvrage vont conduire à sa libération par les soins du preux Blondel, qui se fait passer pour un troubadour aveugle. Côté cœur, on est servi avec les sentiments de la comtesse Marguerite de Valois pour Richard et ceux de Laurette, une compatriote du Roi, envers Florestan, gouverneur du château.
 
L’œuvre compte une quinzaine de rôles au total (en incluant ceux parlés) ; autant dire que la compagnie Les Mont du Reuil (placée sous la direction artistique d’Hélène Clerc-Murgier et Pauline Warnier) et le metteur en scène Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola auront dû faire preuve d’ingéniosité pour parvenir à leurs fins avec seulement cinq voix (dont trois en double-emploi) et deux intervenants. Ces derniers, tout à la fois chanteurs, danseurs et, surtout, manipulateurs – vêtus de noir comme dans le théâtre japonais – ont pour tâche (physiquement très exigeante !) de déplacer les chanteurs « comme des enfants le feraient avec leurs poupées », pour reprendre les termes du metteur en scène, et de manier les éléments – pour partie suspendus dans les cintres – d’une scénographie très sobre où tout se place et se déplace sous l’œil du spectateur.
 
De tels impératifs (auxquels s’ajoute l’absence de chœur) ont obligé a gommer beaucoup de scènes à grand effet (l’ouvrage tient ici en 1h40 sans entracte) et à trouver des astuces pour d’autres. Ainsi, par exemple, lors de l’entrée de comtesse Marguerite, les musiciens montent sur scène pour former son cortège.

© Pascal Brunet
 
Cette option intimiste, ce recentrage sur le cœur de l'argument conduisent à gommer la dimension spectaculaire de l’ouvrage, tandis que l’option marionnettique fige quelque peu le déroulement de l’action. On n’est pas moins admiratif d’un vrai travail de troupe et des prestations des divers protagonistes. Guillaume Gutierrez (chanteur doublé d'un fort honorable violoniste, chose plus qu'utile ici) compose un touchant Blondel face au Roi plein d’autorité de Constantin Goubet, qui incarne par ailleurs un soldat. Polyvalence requise aussi pour Mylène Bourbeau, à la fois Antonio (le guide de Blondel) et Marguerite, ou pour Luc Bacro, excellent Williams et soldat. Quant à Amaya Garcia, elle peut se concentrer sur le seul rôle de Laurette. Enfin, on est assez épaté du travail des deux intervenants, Orlando Rodriguez (qui tient le rôle de Béatrix) et de Kévin Franc (remarquable en Florestan).
 
Aléas d’une reprise ponctuelle, de la découverte d’un nouveau lieu ? : en fosse la partie instrumentale est hélas entachée de nombre de problèmes d’intonation et de mise en place qui altèrent quelque peu le plaisir indéniable de la découverte d’un Richard Cœur-de-lion « de poche » dont la modestie scénographique n’exclut pas des instants visuellement très réussis.
 
Le Midsummer Festival d’Hardelot se termine le 12 juillet par une retransmission en direct du Festival d’Aix-en-Provence (à 22h) de la production du Didon et Enée de Purcell mise en scène de Vincent Huguet et dirigée par Václav Luks - Anaïk Morel et Tobias Greenhalgh tiennent les rôles-titres. Selon la météo l’événement se déroulera en plein air dans la cour du château ou, si nécessaire, à l’abri dans le Théâtre élisabéthain. Entrée libre dans la mesure des places disponibles : arrivez tôt !
 
Alain Cochard

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Grétry : Richard Cœur-de-Lion – Condette, Château d’Hardelot, Théâtre Elisabethain, 29 juin 2018 / château-hardelot.fr
 
Photo © Pascal Brunet

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