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Retour à l’original - Une interview de François-Xavier Roth

Jules Grévy est président de la République depuis 1879, le deuxième gouvernement de Jules Ferry a été formé il y a peu, l’inauguration de l’Orient-Express approche... Samedi 14 avril 1883 : le public de l’Opéra Comique assiste à la création de Lakmé.

Retour au lieu qui vit naître l’ouvrage de Leo Delibes (1836-1891) donc pour la production mise en scène par la Suissesse Lilo Baur et que François-Xavier Roth dirige pour six représentations, du 10 au 20 janvier. Plongé dans les répétitions d’une partition qu’il monte avec le concours d’une superbe distribution et du chœur Accentus, le fondateur de l’Orchestre Les Siècles répond à Concertclassic.

Lakmé coincide avec le dixième anniversaire des Siècles. Avant de parler de cette production, quel regard portez-vous sur la première décennie de votre orchestre ?

François-Xavier ROTH : Je suis très fier du parcours des Siècles durant ces dix années. C’est un orchestre indépendant, un orchestre de projets comme il y en a beaucoup, mais d’un genre nouveau car il ne s’interdit aucun répertoire, du baroque à la création contemporaine. Dix ans après, c’est toujours nouveau qu’un orchestre endosse des habits différents pour chaque répertoire, avec les instruments de chaque époque. Le développement du rayonnement des Siècles me réjouit. Nous avons une résidence dans le département de l’Aisne, qui nous soutient beaucoup ; un mécène merveilleux, la Société Générale, mais la situation des Siècles demeure beaucoup trop fragile dans la période de crise économique que nous traversons. Je souhaiterais qu’un projet tel que le nôtre, qui est peut-être aussi un nouveau modèle d’orchestre symphonique pour le XXIème siècle, soit encore plus soutenu et regardé avec intérêt, pour la variété de répertoire que je viens d’évoquer, pour le rôle que joue notre formation dans la cité, en France et à l’étranger (actions pédagogiques, actions sociétales en direction de publics exclus des salles de concerts). Durant la décennie écoulée, il y a aussi eu Presto, cette formidable émission que nous avons animée pendant plus de trois ans sur France 2. Nous avons des projets en quantité dans nos bagages et avons à cœur de les développer pendant les dix prochaines années !

Vous abordez un répertoire très varié mais la musique française, Lakmé en est un nouvel exemple, n’en demeure pas moins un axe essentiel pour Les Siècles…

F.-X. R. : Cet orchestre a en effet beaucoup joué la musique française du XIXe siècle, tout un répertoire longtemps un peu méprisé qui part de Berlioz et même Gossec pour aller jusqu’à Delibes, Chabrier, Saint-Saëns… Faire Lakmé à l’Opéra Comique, avec les instruments français de l’époque que nous aimons tant jouer, dans la disposition de l’époque, est un immense plaisir.

Delibes a souvent été méprisé, vous venez de le rappeler. Quelle est la place effective de cet auteur dans l’histoire de la musique ?

F.-X. R. : C’est un musicien qui a exercé un rôle très important ; il a notamment influencé un compositeur tel que Claude Debussy. La relative mauvaise réputation dont peut souffrir Delibes s’agissant de Lakmé, mais aussi de Coppelia, tient au fait que ces œuvres ont été d’énormes succès de leur temps ; elles ont été jouées et rejouées et ont finalement subi une forme de distorsion. Quand une musique est si populaire, un phénomène de répétition et de mauvaise tradition peut faire prendre des plis d’interprétation qui ne sont pas ceux d’origine. Quant on parle de Lakmé, on pense à l’air des clochettes, à ces airs de la soprano colorature. On a trop joué Lakmé en faisant place seulement à ces moments de bravoure et à un chant un peu maniéré ou sucré. Dès la première lecture j’ai expliqué aux chanteurs et à toutes les forces en présence que je souhaitais lire la partition avec mon œil d’interprète et regarder tout ce que Delibes exige. Son écriture est très précise ; il s’agit d’une musique très sophistiquée et nous nous attachons à redonner une vigueur dynamique à l’ouvrage, aussi bien pour le chant, que pour l’orchestre, les passages dansés, le chœur, etc. Je cherche à relire la partition avec son exigence initiale.

Quels instruments Les Siècles utilisent-ils pour cette Lakmé ? Quelle disposition adoptez-vous dans la fosse ?

F.-X. R. : Ce sont des instruments totalement contemporains de la création de l’œuvre en 1883 ; des instruments français pour les vents, de facture parisienne même, des instruments très typés pour les bois et les cuivres, les percussions, la harpe, les cordes étant montées en boyau. Il en résulte un orchestre d’une grande personnalité. La disposition que nous allons adopter retrouve la position originelle de l’orchestre qui, à l’époque, jouait en direction du plateau et non pas en direction du public C’est exactement ce qui se pratiquait à la Salle Favart jusqu’au début du XXe siècle et ça donne une balance beaucoup plus naturelle entre les instruments et les chanteurs. Le chef est de ce fait une sorte de relai plutôt qu’un musicien tout puissant ayant l’œil sur chacun et chacune. Ce n’est pas une position toujours confortable par rapport à nos standards de jeu aujourd’hui, mais on gagne énormément en connivence entre les instrumentistes et les chanteurs.

Venons en justement à eux avec, pour le rôle-titre, une jeune soprano française en plein essor : Sabine Devieilhe…

F.-X. R. : J’avais découvert Sabine Devieilhe il y a plusieurs années grâce à mon ami Raphaël Pichon, qui est son compagnon. Son talent à récemment explosé, tout le monde parle d’elle et à très juste titre : c’est une chanteuse absolument exceptionnelle, dotée de moyens vocaux fantastiques, mais c’est en plus, et surtout, une immense musicienne, une artiste d’une grande intelligence qui a les deux pieds sur terre et une sensibilité extraordinaire. Le bonheur est grand de monter Lakmé avec elle, mais aussi avec Frédéric Antoun, Jean-Sébastien Bou, Elodie Méchain, Paul Gay, Antoine Normand, et quelques voix issues de l’Académie de l’Opéra Comique. Ce sont des chanteurs jeunes mais très talentueux, notamment Marion Tassou avec qui j’avais déjà eu l’occasion de travailler. Bref, une équipe formidable, extrêmement dynamique, avec un français magnifique ! Quant à Lilo Baur, artiste suisse venue de l’univers du théâtre et de la danse, elle signe une mise en scène très poétique. »

Propos recueillis par Alain Cochard, le 20 décembre 2013

Delibes : Lakmé

Les 10, 12, 14, 16, 18 et 20 janvier 2014

Paris – Opéra Comique

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