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Rendre lisible une musique à un public d'aujourd'hui - Une interview de John Fulljames, metteur en scène

Présenté en complément de Il Tabarro de Puccini dans le cadre du Festival Puccini Plus de l’Opéra de Lyon, Von Heute auf Morgen de Schoenberg est mis en scène par John Fulljames, qui signe là sa première production en France. Le metteur en scène anglais s’explique sur son approche de l’ouvrage d’Arnold Schoenberg.

Pour Von Heute auf Morgen, vous avez réalisé une mise en scène colorée, lorgnant vers le Pop Art, jouant sur la mode et le design. Souhaitiez-vous trouver un équivalent visuel à la musique « électrique » de Schoenberg ?

John FULLJAMES : C'est une musique complexe, très structurée, pleine d'esprit et de danse. On a le sentiment que le compositeur est toujours en train de sourire. Même si le sujet contient des accès plus mélancoliques, il garde toujours un œil amusé. Avec Johan Engels, le décorateur, nous voulions avant tout capturer l'énergie formidable de cette musique.

La musique est effectivement complexe. Cette dimension ludique, avec beaucoup de changements de décors, était-elle aussi une façon de la rendre plus accessible ?

J.F. : Certainement. Le défi pour un metteur en scène, c'est de rendre lisible une musique à un public d'aujourd'hui. Si on ne fait que lire le livret, on peut penser qu'il s'agit d'une action d'un seul tenant, se déroulant dans un lieu unique. Mais lorsqu'on écoute la musique, on s'aperçoit que l'oeuvre est beaucoup plus foisonnante, comprenant de nombreuses ruptures et ponctuations autour de quelques scènes clés. C'est à partir de la musique que doivent se faire les choix de mise en scène. Les changements de décors sont là pour que les spectateurs se rendent compte des différentes pistes que propose la musique. Il s'agit d'attiser la curiosité du public pour ce qu'il écoute. Il y a une forme d'ironie à le faire car nous vivons dans un monde bruyant, empli de sons, mais qu'on ne sait pas toujours écouter. C'est évidemment pour moi une des fonctions premières de l'opéra.

En faisant traverser les époques dans différents décors, vous touchez au sens profond de l'oeuvre : comment un couple peut-il rester ensemble à travers le temps ?

J.F. : Exactement. Ce n'est pas pour rien que Schoenberg a écrit le livret avec sa femme. Comment garder de l'intégrité et de l'intensité dans une relation amoureuse ? C'est pour moi la question très sérieuse au cœur de l'opéra, même si elle est traitée sous la forme d'une comédie. Une nuit va leur permettre de renouveler leur engagement, mais absolument pas de façon naïve ou idéalisée. À la fin, le mari vaque à ses occupations sans écouter sa femme qui lui parle. La relation ne s'est pas beaucoup améliorée. Mais quelque part, ils forment le vœu de continuer à essayer d'être ensemble.

Comment interprétez-vous la question de l'enfant à la fin : « Qu'est-ce qu'être moderne ? ». Pensez-vous que Schoenberg revendique une modernité ou au contraire en fait la critique pour rendre hommage à ce qui perdure ?

J.F. : C'est très intéressant. En un sens, je pense que Schoenberg nous dit que les valeurs qui portent une relation sont toujours les mêmes, et que la modernité n'est qu'une mode passagère. Mais en même temps, il utilise lui-même un langage extraordinairement moderne, le dodécaphonisme. Là réside le génie de cette œuvre particulièrement ambivalente : c'est une forme d'achèvement de la modernité pour en montrer les limites.

Votre réalisation scénique, non dénuée d'humour, est à l'opposé des mises en scène allemandes souvent tristes de Von Heute auf Morgen, comme par exemple le film de Straub et Huillet. L'humour est-il une particularité anglaise ?

J.F. : (rires) Je ne pense pas qu'il faille voir les choses de façon aussi nationaliste ! Le meilleur humour est très sérieux ! Il me semble en revanche, peut-être parce que je suis anglais, que le public a besoin d'être amusé, stimulé, excité. Il faut que le spectateur se sente engagé à différents niveaux, surtout dans une musique aussi complexe que celle de Schoenberg. C'est l'autre défi d'un metteur en scène : faire fonctionner différents niveaux de lecture en même temps.

En quoi la direction d'acteur est-elle selon vous différente du théâtre à l'opéra ?

Elle ne devrait pas l'être, en tout cas aux yeux du spectateur une fois le travail terminé. Ce qui est vrai, c'est que la façon de procéder est très différente. C'est avant tout la question de la spontanéité qui est posée. Au théâtre, tout ce qui peut surgir entre les acteurs est encouragé. À l'opéra, il faut d'abord que les chanteurs soient suffisamment à l'aise avec la musique pour s'en affranchir et se sentir libres sur une scène. Ce travail peut être très long, particulièrement avec une musique comme celle de Schoenberg qui exige une précision de tous les instants. C'est d'autant plus difficile que l'opéra est un art global. Ce qui est beau à l'opéra, c'est précisément lorsque toutes les disciplines s'imbriquent naturellement. Cela rend son potentiel émotionnel énorme. C'est un peu la reine des formes scéniques.

Propos recueillis et traduits de l'anglais par Luc Hernandez

Von Heute auf Morgen de Schoenberg mis en scène par John Fulljames à l'Opéra de Lyon.
Présenté en complément de Il Tabarro de Puccini dans le cadre du festival Puccini Plus à l'Opéra de Lyon.
Prochaines représentations les 1er, 4 et 10 février 2012 / www.opera-lyon.com

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Photo : DR
 

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