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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Peter Maxwell Davies - Musicien en son royaume

En mars dernier, la Royal Academy of Music accueillait la création de Kommilitonen !, le nouvel opéra de Sir Peter Maxwell Davies. Le compositeur livrait ainsi le trois-cent-sixième opus d'une œuvre monumentale et variée, qui demeure hélas pour l'essentiel inconnue du public français.

L'abondance, pour un compositeur, est aujourd'hui devenue suspecte – elle l'était moins, semble-t-il, du temps de Bach, Haydn ou Mozart – et Sir Peter s'en amuse et achève à un rythme effréné des partitions aussi diverses que son opéra, deux Préludes, miniatures écrites pour quatuor avec piano écrites pour le Nash Ensemble, quelques pages chorales ou encore une œuvre pour cornemuse, piano et cordes pour le Festival de Bath. « J'aime écrire de la musique, dit-il, et j'ai souvent trois compositions en cours en même temps. Quand j'en ai assez de l'une, je passe à une autre ! ». De cette production, dont le rythme s'est encore accéléré ces dernières années, le compositeur ne renie rien – y compris plusieurs dizaines de pièces sans numéro d'opus : œuvres de jeunesse essentiellement, ainsi que quelques musiques de scène et pages pour ensembles amateurs. « Cela ne veut pas dire que je ne suis pas critique envers ma musique, mais je considère mes œuvres comme des enfants. Je ne peux quand même pas les étrangler ! ».

Pour cette même raison, Peter Maxwell Davies ne revient presque jamais sur une œuvre composée. Il laisse cependant les idées musicales essaimer dans le contexte d'une œuvre nouvelle, sans que l'on puisse parler d'une reprise ni même d'un nouveau développement. « Je ne recompose jamais une œuvre, explique-t-il, mais une même idée musicale, un accord par exemple, peut voir sa signification soulignée (« underlined ») ou contrariée (« undermined ») par sa mise en œuvre dans un autre contexte ». Les œuvres de Peter Maxwell Davies, peuvent se parcourir comme autant de chapitres d'un « très long livre », chacun portant, proclamant la marque du moment de sa création – et souvent aussi, par leur titre, du lieu d'où l'inspiration est venue.

On se représente aisément le compositeur imaginant ses œuvres à venir en parcourant quotidiennement le rivage des Îles Orcades où il réside : « ce paysage sauvage, surtout quand le temps est orageux et la mer déchaînée, m'inspire plus que toute autre chose » confie-t-il. Source d'inspiration, le paysage n'est pourtant pas décrit pour lui-même par la musique. Ainsi, la Deuxième Symphonie, écrite pour le centenaire de l'Orchestre symphonique de Boston en 1980, est née d'une observation du mouvement et de la force des vagues, mais cette vaste symphonie transfigure l'idée en une subtile opposition de formes et de rythmes proprement musicaux. Malicieux, le compositeur ajoute cependant que lorsqu'il la dirige, l’œuvre lui donne le mal du pays.

Le métier de chef d'orchestre est une autre facette du travail de Peter Maxwell Davies. Compositeur en résidence auprès de l'Orchestre de chambre d’Écosse et du BBC Philharmonic, il a eu l'occasion de diriger ses propres partitions mais aussi Haydn, Mozart, Beethoven, Stravinsky, Schoenberg : « savoir comment pense un orchestre est un excellent entraînement pour un compositeur ». Le cycle que forment ses sept symphonies, composées entre1976 et 2000 (la huitième, l'Antarctic Symphony de 2000, doit être plutôt considérée comme un élément indépendant), témoigne d'une connaissance profonde de l'orchestre : non pas tant par emprunts ou références au répertoire symphonique – même si l'influence de Haydn est perceptible dans la Septième et l'ombre de Beethoven discernable dans la Cinquième – mais bien plutôt par la maîtrise de l'horlogerie orchestrale.

Mais Peter Maxwell Davies est aussi un personnage public. Nommé Maître de musique de la Reine en 2004, il envisage cette fonction solennelle – qu' Edward Elgar ou Arnold Bax ont occupée avant lui – comme une opportunité pour « accroître la visibilité de la musique sérieuse ». « L'une de mes premières initiatives a été de décerner chaque année la « Queen's Medal for achievement in music », s'enorgueillit le compositeur. Quand Bryn Terfel l'a reçue en 2006, la Reine est venue la lui remettre sur scène au Royal Festival Hall, sous l’œil des caméras de télévision ». Aider le plus large public à découvrir le répertoire classique, est rendu d'autant plus nécessaire par la désespérante politique de réductions budgétaires menée par le gouvernement britannique depuis de nombreuses années, touchant particulièrement les domaines de la culture et de l'éducation. Peter Maxwell Davies ne cesse de dénoncer cette « destruction de la civilisation », lui qui a toujours consacré une partie de son activité créatrice aux musiciens amateurs et aux enfants. « En 1959, quand j'ai été nommé professeur de musique dans une école, je disposais d'un orchestre et d'un chœur sur place.  La musique dans les écoles publiques était un acquis depuis la fin du xixe siècle ; il a suffi de quelques années pour le détruire, peut-être de façon irréversible ».

À soixante-seize ans, Peter Maxwell Davies n'a pas fini de se révolter. Son opéra Kommilitonen ! donne une belle leçon d'engagement, laissant, malgré tout, persister l'espoir d'un triomphe de la jeunesse et de l'humanisme. « Il faut résister, dit-il. Je le fais avec mes moyens. Quand je compose mes quatuors à cordes (les « Naxos Quartets », 2002-2007), c'est aussi une manière de protester contre la guerre en Irak – même si je me doute que ça n'inquiète pas M. Bush ou M. Blair : je ne les imagine pas écouter un quatuor de Haydn, alors un des miens, pensez donc ! ». Défier le monde, c'est aussi s'en défier : retrouver les rivages des Orcades pour y penser l’œuvre à venir.

Jean-Guillaume Lebrun

(propos recueillis à la Royal Academy of Music à Londres, le 21 mars 2011)

Du 17 au 22 juin, Peter Maxwell Davies sera comme chaque année l'invité du festival du St Magnus Festival, qu'il a fondé en 1977 dans les Îles Orcades. Renseignements : http://www.stmagnusfestival.com

À écouter : les « Naxos Quartets » par le Quatuor Maggini (Naxos), l'opéra Taverner dirigé par Oliver Knussen (NMC)

le site officiel du compositeur
http://www.maxopus.com

Photo : DR
 

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