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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Matthias Pintscher - Communiquer la musique

Matthias Pintscher

C'est un peu un retour aux sources pour l'Ensemble intercontemporain : le nouveau directeur musical de la formation fondée par Pierre Boulez est un compositeur, comme l'étaient avant lui Michel Tabachnik et Peter Eötvös. Quand Matthias Pintscher a été désigné comme le successeur de la Finlandaise Susanna Mälkki, Pierre Boulez l'a adoubé, l'encourageant à suivre sa propre voie à la tête de l'ensemble : « Soyez différent ! Changez tout ! » lui aurait-il glissé.
 
Être différent tout en respectant le formidable legs de près de quarante années de création et d'interprétation de la musique contemporaine, voilà qui n'est pas si facile. Matthias Pintscher le fait pourtant avec évidence et simplicité : en février 2013, quelques mois avant de devenir officiellement directeur musical de l'EIC, il dirigeait Le Marteau sans maître au Théâtre des Champs-Élysées. L'œuvre de Pierre Boulez, qui demeure l'un des symboles de l'avant-garde musicale des années cinquante, sonnait avec une fluidité, pleine de résonances sous la direction du jeune chef allemand. Il confesse d'ailleurs, au-delà de l'admiration, une certaine proximité avec la musique du compositeur de Sur Incises : « Dans mon écriture, je recherche ce qui sonne, cette qualité – très française – de la résonance ; c'est en cela que je me sens très proche de la musique de Pierre Boulez ».
 
Bien qu'elle ne s'interdise pas un certain caractère spectaculaire,  la musique de Matthias Pintscher vise essentiellement à l'introspection, au surgissement des « résonances et des images intérieures ». C'est une musique parcourue de souffle et de silences, où l'on ne s'étonnera pas du rôle donné aux vents : « J'ai "découvert" la trompette il y a cinq ans. C'est son agilité, sa vitesse qui m'ont intéressé, la possibilité moments où l'on passe de "sons sans son" à une articulation réelle » précise le compositeur. La trompette comme la flûte – « des instruments directement connectés au souffle » – ont pour lui cette « qualité sensuelle ».
Mais, pour Matthias Pintscher, l'instrument idéal, le corps musical par excellence, c'est l'orchestre : « c'est un moment extraordinaire quand tout le monde, sur la scène et dans le public, sent exactement ce qui se passe ». Cette passion de l'orchestre, Matthias Pintscher l'a découverte très tôt. Mis très jeune au piano, il découvre le violon à dix ans : pouvoir modeler le son le fascine et c'est ce qu'il retrouvera quelques années après au sein d'un orchestre de jeunes quand, entouré de musiciens – de ce « corps musical » qu'est l'orchestre – , il perçoit la possibilité d'avoir un rapport direct avec le son, au cœur du son. Ses premières œuvres – écrites alors qu'il découvre Bartok, Schoenberg, Webern, Debussy, Ravel – seront pour l'orchestre ; elles lui vaudront les encouragements de Hans Werner Henze. En même temps, il apprend à diriger.
 
Compositeur et chef d'orchestre : les deux activités sont dès lors liées l'une à l'autre, deux faces d'un même rapport à la musique. « En tant que chef, j'apprends à organiser une partition ; comme compositeur, je recherche la bonne combinaison des instruments, comment "balancer" les moments sonores ». Et dans les deux cas une obsession de la précision : « J'ai un énorme respect pour l'information que le compositeur a laissée sur sa partition. Quand je dirige, je recherche le style juste pour chaque compositeur et pour chaque œuvre. Il ne s'agit pas seulement de prendre une décision d'interprétation, mais il faut surtout donner des raisons aux musiciens. Quand j'écris, c'est pareil : qu'est-ce que le musicien va trouver dans l'information que je lui donne ? Comment écrire la partition pour tirer la plus grande qualité sonore d'un orchestre ou d'un ensemble ? ».
Il ne s'agit pas pour Matthias Pintscher de prétendre comprendre la musique – peut-on comprendre une œuvre d'art ? – mais plutôt de la sentir, de la percevoir. Et que l'œuvre soit celle de Beethoven ou de Dvorak ou qu'elle soit la sienne propre ne change pas grand-chose : « Je ne comprends pas ma propre musique. Quand je dirige une de mes œuvres, je dois apprendre la partition pour en retrouver le style, les harmonies. »
 
Composer, diriger : deux activités liées, donc, mais qui aussi se contrarient. Comme pour d'autres compositeurs-chefs d'orchestre, l'essor de la carrière publique – les concerts, mais aussi l'enseignement, les déplacements, la direction d'ensembles ou de festivals – vient limiter le temps consacré à l'écriture. Matthias Pintscher ne compose plus que chez lui, à New York : « j'ai arrêté d'essayer de composer ailleurs, lorsque je dirige. J'ai besoin d'être chez moi, les feuilles de la partition disposées sur un vaste bureau d'architecte, afin de voir le chemin et le temps, le flux de la musique ». Les autres temps, les autres lieux – Paris, désormais, de plus en plus – seront consacrés à communiquer la musique.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 
Concerts :
Matthias Pintscher dirigera les 7, 8 et 9 février 2014 à la Cité de la musique dans le cadre du 2ème week-end « Turbulences » qu'il a conçu pour l'Ensemble intercontemporain. Œuvres de Mozart, Schubert, Webern, Ravel, Szymanowski, Ives, Scelsi, Kagel, Pierre Boulez, Wolfgang Rihm, Matthias Pintscher... Créations de Mark André et Marc Garcia Vitoria.
 
À écouter :
En sourdine, Tenebrae, Reflections on Narcissus (1 CD Kairos)
Sonic Eclipse, A Twilight's Song, She-cholat Ahavah (1 CD Kairos),
 
Site de Matthias Pintscher : matthiaspintscher.com
 
Photo © Aymeric Warmé-Janville 2013

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