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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Jonathan Harvey - La musique, voix de l’esprit

La voix habite depuis toujours l’œuvre de Jonathan Harvey. C’est par le chant qu’il s’est, d’abord, émerveillé à la musique, jeune élève alors de l’école de Tenbury où il participait deux fois par jour avec le chœur aux services religieux. Il commence dès lors à composer, à jouer au piano la musique qui le marque – musique vocale évidemment, et singulièrement Le Songe de Géronte d’Elgar. L’amour de la voix ne le quittera plus et quand, plus tard, il se choisira un instrument, ce sera tout naturellement le violoncelle, un instrument très mélodique pour lequel il a notamment écrit un superbe concerto.

Jonathan Harvey, aujourd’hui septuagénaire, a ainsi composé quelques-unes des plus belles œuvres vocales de la deuxième moitié du XXe siècle. Après avoir mis en musique, dans des cantates très personnelles qui marquent le début de sa maturité musicale, des textes de Yeats, Virginia Woolf ou Kirkegaard, il livre en 1985 le superbe Song Offerings (sur des poèmes de Tagore) puis, trois ans plus tard, From Silence (inspiré par le mysticisme chrétien). Ces deux cycles de mélodies pour soprano et ensemble pourraient tenir lieu de portrait du compositeur : on y retrouve l’amour du chant (« la sensation de chanter est la base de la musique », dit-il), une conduite instrumentale légère, comme en apesanteur, mais aussi, dans From Silence, une utilisation des technologies les plus modernes, l’électronique dans ce qu’elle peut avoir de véritablement musical.

L’exploration miraculeuse du son

Car Jonathan Harvey est, sinon un pionnier, un véritable artisan de l’informatique musicale qu’il a pratiquée dès les années soixante au côté de Milton Babbitt puis régulièrement à l’Ircam à Paris, à l’invitation de Pierre Boulez, dès 1980. Pour le compositeur britannique, âgé alors de quarante ans, s’installer devant les ordinateurs d’un laboratoire de recherche musicale ne change pas fondamentalement l’activité du compositeur, habitué à traduire sa pensée musicale sur une partition ou – comme il l’a fait dès le plus jeune âge – à la faire émerger en s’asseyant au piano des heures durant. Mais la technologie n’offre pas qu’un outil, elle révèle la musique, fait pénétrer dans la profondeur du son, en fait une matière sensible que le compositeur peut manipuler. Sans surprise, la première œuvre composée par Jonathan Harvey dans les studios de l’Ircam, l’extraordinaire Mortuos plango, vivos voco, est fondée sur la voix, celle en l’occurrence de son jeune fils, alors choriste à la cathédrale de Winchester. Les transformations de la voix, mêlées à celles de la sonnerie de la grande cloche de la cathédrale, sont une exploration miraculeuse, jamais égalée dans sa lumineuse simplicité, du spectre harmonique.
La récente audition de Speakings, dans le cadre du festival Agora, est venue confirmer cette maîtrise exceptionnelle de l’informatique comme instrument d’expression. D’emblée reconnu comme chef-d’œuvre, Speakings ambitionne de faire « parler » l’orchestre en lui faisant reproduire la prosodie de la voix humaine. L’œuvre est à la fois l’aboutissement de toutes les recherches menées par le compositeur à l’Ircam sur la parole, la voix, la synthèse vocale, l’analyse sonore des voyelles… (tout un travail d’analyse sonore mené avec son assistant musical, partenaire régulier à l’Ircam, Gilbert Nouno) et un propos spirituel, philosophique : l’évolution fascinante de cet animal, l’homme, qui, seul parmi les espèces, a appris à parler et développé un langage. La voix, toujours…

« Une esthétique bouddhiste »

Une autre constante, plus significative encore, de la musique de Jonathan Harvey est sa quête de spiritualité : « j’essaie de composer une sorte d’esthétique bouddhiste ». La musique est pour lui à l’image du monde, « changeante, toujours ambiguë, toujours interprétée par l’esprit de l’observateur, il est impossible d’y voir une réalité en soi ». Il reconnaît ainsi l’influence qu’a exercé sur lui Karlheinz Stockhausen sa perpétuelle recherche de l’état de conscience, même s’il concède être plus intuitif, moins systématique que le compositeur allemand : « je garde plus de fenêtres ouvertes sur l’inconnu ». Prenant comme contre-exemple de l’œuvre John Cage – « un exemple de bouddhisme extrême, qui ne peut pas émouvoir » - Jonathan Harvey considère que la musique doit permettre de « créer un chemin entre le monde normal et le monde fondamental ». C’est la leçon que l’on peut retrouver dans Speakings, celle d’une « parole purifiée : ne pas en dire trop, toujours parler avec soin, avec considération pour les autres ». Jonathan Harvey compose comme on devrait parler.

Jean-Guillaume Lebrun

À voir et écouter jusqu’au 31 juillet au Palais de la Découverte : une installation audiovisuelle autour de Mortuos plango, vivos voco

Pistes discographiques : Speakings, Scena, Jubilus dirigés par Ilan Volkov (Aeon) , Madonna of Winter and Spring, Song Offerings, Concerto pour percussion dirigés par Peter Eötvös et George Benjamin (Nimbus), Wheel of Emptiness, Tombeau de Messiaen, Advaya… par l’Ensemble Ictus (Cypres) , Quatuors à cordes par le Quatuor Arditti (Aeon)

Photo : DR
 

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