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Rencontre avec Michèle Reverdy - Écriture libre

Depuis près d’un demi-siècle, Michèle Reverdy (photo, née en 1943) traverse le monde de la création contemporaine avec pour boussole l’amour de la musique. Un amour véritable, qui remonte à l’enfance – au souvenir par exemple de la découverte des Noces de Figaro – et perdure aujourd’hui. Sensible à certaines influences, à commencer par celle de ses maîtres, Olivier Messiaen et Claude Ballif, elle est en revanche étrangère aux phénomènes de mode : la musique est une passion exigeante, qui ne saurait se confondre avec les chemins obligés de quelque cursus honorum – tant pis pour quelques œuvres qui, faute de commande, ne verront jamais le jour.
 
Michèle Reverdy est donc une compositrice libre, et cette liberté se lit dans son catalogue, généreux avec près d’une centaine d’opus – et encore en a-t-elle supprimé toutes les pages de jeunesse et quelques autres, jugées trop peu abouties.Variété des titres, qui ne dédaignent ni la poésie (L’Île aux lumières pour violon et orchestre, Le Cercle du vent pour orchestre, Ni d’ici ni d’ailleurs pour harpe et quatuor à cordes) ni l’humour (les pièces de concours Pas de panique !, It didn’t crash !, le quintette Mine de cuivres) ; variété des effectifs – du soliste à l’orchestre – et surtout de l’instrumentation : l’œuvre de Michèle Reverdy est une quête inextinguible de couleurs. Passionnée de peinture autant que de musique, elle avoue souvent procéder « par pâte et par couleur ». Pour cela, elle se met à l’affût de sonorités nouvelles, introduisant par exemple le cymbalum au sein de l’ensemble instrumental qui donne la réplique aux deux violoncelle dans Les Gémeaux (1993) ; elle reprendra l’instrument dès l’année suivante dans l’étonnant Concerto pour orchestre, dans l’opéra Médée en 2003 ou encore dans Ombres du Minotaure, créé en janvier 2019 à Vevey, chaque fois lorsque la musique se fait tout ensemble tendue et ajourée.
 
Dans cette œuvre foisonnante, le théâtre occupe une place de choix, avec une prédilection pour les personnages forts, avides de liberté, mais non sans fêlures – des personnages dont le drame intérieur se joue aussi sur le théâtre du monde. Médée, Ariane et Thésée s’y retrouvent, ainsi que les trois femmes du Fusil de chasse d’après Yasushi Inoué (1998), Läuffer dans Le Précepteur d’après Jakob Lenz (1990) ou Van Gogh dans Vincent ou la note jaune (1989). Qfwfq, le héros de la nouvelle Un point dans l’espace d’Italo Calvino, les y rejoint avec la création des Cosmicomiche le 12 mars prochain à Toulon. À vrai dire, ce dernier personnage avait déjà goûté la scène, dans une première mise en musique du texte de l’écrivain italien par Michèle Reverdy, commande de la Péniche Opéra pour le contrebassiste Frédéric Stochl également récitant aux côtés de deux chanteuses, trois clarinettes et un alto. « Après la composition de Médée, j’ai eu envie d’écrire un opéra bouffe, raconte la compositrice. J’ai d’abord cherché un texte chez des écrivains contemporains, puis Calvino m’est revenu à l’esprit, avec l’idée de travailler cette fois sur le texte italien – j’avais en tête le Puccini de Gianni Schicchi – et de reconstituer un ensemble un peu moins hétéroclite qu’en 1990 ». La langue – passer d’une traduction française à l’original italien – dicterait-elle alors les couleurs de la musique ? Michèle Reverdy ne le croit pas, même si bien sûr chaque langue a ses propres intonations. C’est d’abord le texte lui-même, la rencontre avec une œuvre littéraire, qui stimule l’imagination ; et si le texte doit demeurer compréhensible, il n’est pour Michèle Reverdy ni nécessaire ni souhaitable de suivre aveuglément la prosodie induite par la langue. Bien au contraire,  affirme-t-elle, « c’est en déstabilisant le phrasé que l’on rend le discours plus intelligible, sans doute parce que l’attention de l’auditeur reste alors en éveil ».

Léo Warynski © MBraun

Cette liberté vis-à-vis du texte, Michèle Reverdy la revendique absolue pour les œuvres non narratives : « quand on met un poème en musique, il n’est pas nécessaire que le texte en soit immédiatement compréhensible, on peut même le déstructurer. C’est l’écriture vocale et les couleurs instrumentales qui en explorent le sens ». De fait, pour les nombreuses mélodies qu’elle a composées, Michèle Reverdy a toujours associé la voix à un ensemble instrumental ad hoc, jamais au seul piano. La poésie est pour elle, comme la peinture et la musique, un monde de couleurs.
Qu’elle parte d’un texte ou d’une simple idée – musicale ou non – la composition est une mise à l’épreuve du temps. Dans son livre, au ton très vif, Composer de la musique aujourd’hui, Michèle Reverdy parle d’un temps « grossi à la loupe », quand « le temps fugitif de l’œuvre – une seconde de musique passe très vite – aura occupé dans mon esprit une durée immensément plus longue ». « Le début d’une œuvre, dit-elle encore, j’y pense, j’en rêve. Après, souvent, vient le blocage. Il faut alors avancer, quoi qu’il arrive, ne pas regarder en arrière ». Une écriture où « le crayon va plus vite que la main, où l’œuvre m’emmène où je ne veux pas aller ». Une écriture libre donc, mais – et il n’y a là aucune contradiction – très ordonnée, formellement construite. Dans les archives et manuscrits de Michèle Reverdy, qu’elle vient de remettre à la Bibliothèque nationale de France, on trouve réflexions minutieuses et canevas harmoniques, autant de figures d’ombres qui précèdent l’œuvre à venir.
 
Jean-Guillaume Lebrun
(Entretien avec la compositrice réalisé le 7 février 2019 à Paris)

Création de Cosmicomiche, mis en scène par Victoria Duhamel et dirigé par Léo Warynski. Mardi 12 mars à 20h30 au Liberté, scène nationale de Toulon (83), dans le cadre de la saison de l’Opéra de Toulon et du festival « Présences féminines ».
www.operadetoulon.fr/spectacles/lyrique-le-cosmicomiche/255.htm
 
Création de Fragments d’un discours par le Trio Sõra. Mardi 19 mars à 20h à l’Opéra de Toulon, toujours dans le cadre du festival « Présences féminines ».
www.presencesfeminines.com/festival/programme-2019/mardi-19-mars/
 
À lire :
Michèle Reverdy, Composer de la musique aujourd’hui, Klinncksieck, 2007
Emmanuel Reibel et Yves Balmer, Michèle Reverdy, compositrice intranquille, Vrin, 2014

Lenka Strenska, « Michèle Reverdy » in Compositrices. L’égalité en acte, CDMC/MF, 2019
 
Site internet de la compositrice : www.michelereverdy.com/index.php
 
Photo © DR

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