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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Gilbert Nouno – "J'ai envie d'être un passeur libre de toutes les formes musicales"

Gilbert Nouno

Le 11 juin, dans le cadre du festival ManiFeste organisé par l'Ircam, la grande salle de la Philharmonie de Paris accueillera Répons, sans aucun doute l'œuvre la plus ambitieuse de Pierre Boulez. L'Ensemble intercontemporain au centre, six solistes en périphérie, autour du public, mais aussi tout un dispositif informatique associé à six groupes de haut-parleurs projetant en temps réel le son transformé des instruments solistes. Pour piloter ce dispositif, deux musiciens, deux « réalisateurs en informatique musicale » : Andrew Gerzso, complice de longue date de Pierre Boulez, et Gilbert Nouno, qui mène aujourd'hui de front son travail dans les studios de l'Ircam auprès de nombreux compositeurs et son propre parcours de créateur.

Loin d'être cloisonnées, ces deux activités se nourrissent l'une l'autre : « Je suis venu à la composition en tant qu'artiste sonore, en travaillant avec d'autres musiciens et compositeurs » raconte Gilbert Nouno. C'est véritablement la collaboration avec le compositeur Philippe Schoeller qui m'a ouvert sur l'écriture instrumentale tout en développant mon écriture électronique. Mais la relation s'exerce dans les deux sens : Jonathan Harvey, avec qui j'ai toujours adoré travailler, m'a ainsi dit que je l'avais beaucoup influencé tant pour l'écriture que pour la pensée électronique – et j'ai à mon tour énormément appris de son immense talent d'orchestrateur ».
 
Avancer sur la brèche de l'écriture et de l'improvisation
Aujourd'hui, Gilbert Nouno a décidé de « prendre [s]on envol » en tant que compositeur. On le retrouvait ainsi, en mars dernier au Printemps des Arts de Monte-Carlo. Non plus derrière la console à veiller sur la bonne projection de l'univers sonore d'un confrère (il venait alors de participer à la création de Solaris de Dai Fujikura au Théâtre des Champs-Élysées, prolongeant par l'électronique l'orchestration du compositeur japonais), mais écoutant, assis dans la salle, une œuvre nouvelle dont il avait entièrement cédé l'interprétation aux musiciens de l'ensemble Cairn.
Dans cette œuvre, Reverse, « la musique avance sur la brèche de l'écriture et de l'improvisation : je demande aux musiciens de saisir ces lignes, de s'approprier leur articulation ». On retrouve dans cette démarche la trace des fréquentations artistiques très large de Gilbert Nouno, qui acquiesce en effet : « Cela tient aux contacts amicaux et artistiques que j'ai avec des musiciens comme Magic Malik [flûtiste de jazz, avec qui il a travaillé à la Villa Médicis en 2010] ou le collectif Octurn ». Cette ouverture est revendiquée par Gilbert Nouno comme une évidence : « Il n'y a plus aujourd'hui de "style Ircam" mais des outils communs que chacun s'approprie avec sa personnalité. J'ai envie d'être un passeur libre de toutes les formes musicales ».
 
Comme un sculpteur attaquant un bloc de marbre
Et pas seulement musicales : Gilbert Nouno est aussi, sous le nom de Til Berg, un artiste visuel pour qui « l'ordinateur est un prolongement du médium technique qu'est le crayon ou le burin » et qui utilise la métaphore du sculpteur pour parler de son métier de musicien : « Je considère le sonore comme une véritable matière que je peux sculpter. Comme un sculpteur attaquant un bloc de marbre en glissant le burin le long d'une veine pour que la matière puisse s'ouvrir, je creuse la matière sonore pour en détacher les lignes, les faire ressortir ».
Pierre Boulez disait à propos de Répons : « [le titre] ne renvoie pas seulement au dialogue entre les solistes et l'ensemble, au dialogue des solistes entre eux, au dialogue de ce qui est transformé et de ce qui ne l'est pas, mais aussi au dialogue de plusieurs matériaux ». Chez Gilbert Nouno, toute création pourrait renvoyer à cette idée de « répons », d'un art toujours en mouvement, toujours « traversant ». « L'interaction, dit-il, même au sein du seul milieu sonore, c'est déjà du trans-média ».
 
Jean-Guillaume Lebrun
(Propos recueillis le 22 mars 2015)
 
Festival ManiFeste 2015
Du 2 juin au 2 juillet 2015
Paris – Lieux divers
manifeste2015.ircam.fr
 
Ensemble intercontemporain, dir. Matthias Pintscher
Œuvres de Boulez, Jarrel et Lachenmann
11 juin 2015 – 20h 30
Paris – Philharmonie 1
 
Site personnel de Gilbert Nouno : gilbertnouno.net

Photo © DR

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