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Py dit vrai - Dialogues des Carmélites au TCE - Compte-rendu

L’enfant terrible de la mise en scène se retrouve dans le Carmel. Après Alceste et Aïda où Py se réduisait à ses idiosyncrasies et pas mal de lieux communs, le voici parlant à nouveau la langue profonde, fatale, définitive qu’il avait employée dans son Tristan et Isolde fondateur. Finalement lui faudrait-il à lui aussi de vrais objets pour que sa syntaxe, sa  grammaire, son vocabulaire, son style flamboient tout ensemble ?  Merveille supplémentaire, il habite jusqu’aux interludes que Poulenc brossa pour la Scala, les illustrant successivement d’une Annonciation, d’une Nativité, d’une Scène et d’une Crucifixion où s’invite l’Ange de Fra Angelico.

Le sujet de Dialogues des Carmélites l’a requis corps et âme, si bien que tout dans son spectacle semble couler de source, et que chacun y trouve sa place par la seule direction d’acteur.  Pierre-André Weitz lui-même n’ajoute rien que de très simple, de strictement nécessaire – une Black Box s’ouvrant en une croix de lumière, donnant sur un jardin à la Maurice Denis lorsque l’espoir est encore possible, ou sur un mur de prison lorsqu’il s’est évanoui, quelques troncs de sapin comme échappés du Freischütz de Nancy, créent à eux seuls un écrin à la fois poétique et dramatique. Décor étonnamment fixe, on n’est pas dans la redondance des grands systèmes tournants comme dans Aïda, le manège s’est arrêté pour mieux laisser parler les êtres, et quels êtres !

On aura beau rappeler que Rosalind Plowright était déjà Madame de Croissy dans la production de Bastille voici quelques lustres, manière élégante de souligner qu’elle n’a plus qu’une charpie de voix, mais sa roideur à l’accueil de Blanche, son incroyable mort que Py nous fait voir par en haut, comme si l’on était justement à la place de Dieux, nous la rendent soudain aussi précieuse que Rita Gorr ou Sylvie Brunet, ce n’est pas peu dire mêmes si l’on regrette la ligne impeccable que Denise Scharley mettait dans l’enregistrement princeps de Pierre Dervaux, modèle au fond jamais retrouvé.

On tremble devant la revêche Mère Marie de Sophie Koch, qui n’hésite pas à désunir ses registres pour rendre plus cruelle l’implacable caractère de cette femme qui rêve autant de pouvoir que de sacerdoce, on admire sans frein le si bien chantant et si élégant, jusque dans la fragilité de sa visite au carmel, Chevalier de Tophi Lethipuu, très occupé à prononcer haut et clair le texte de Bernanos, et l’on admire tout autant le Père confesseur de François Piolino dont l’Office irradie de simplicité. Les hommes d’ailleurs sont finement campés, du Marquis au baryton si sonore selon Philippe Rouillon dont l’évocation du pillage du carrosse s’accompagne d’une saisissante scène en  ombre chinoise,  au second commissaire de Yuri Kissin en passant par le premier commissaire de Jérémy Duffau.

On espérait beaucoup de Véronique Gens. Trop peut-être. Si le personnage est incroyable de tenue, presque trop pour ce caractère bon enfant qui parle à la communauté en employant des formules à la bonne franquette, la voix peine devant les aigus que lui ordonne Poulenc et cède devant le souvenir de Crespin, c’est fatal me direz-vous. Reste le mystère Patricia Petibon. On la tance de nous sortir quelques uns de ses aigus miaulés qui deviennent une manie et avec lesquels elle a ruiné de bout en bout son enregistrement tout récent du Gloria et du Stabat Mater de Poulenc. Mais on rend les armes devant une composition saisissante, d’abord le fait d’une actrice qu’Olivier Py a clairement rencontrée, tout en soulignant justement  tous les artifices, les maniérismes, le ton toujours très étudié d’une performance.

D’autant qu’en face d’elle, Anne-Catherine Gillet venue là au débotté pour remplacer Sandrine Piau, campe la plus naturelle, la plus rayonnante et la moins artificielle des Constance qu’on ait entendue depuis un certain soir à Toulouse où elle prenait le rôle. Et en ayant encore dans l’œil et dans l’oreille sa Blanche vue à Angers voici un mois, le personnage pourtant si fortement commandé par la peur (et la peur de la peur) voulu par Petibon semblait soudain suprêmement artificieux.

Sur cette distribution  all star qui affichait autant son fort niveau que ses disparités, Jérémie Rohrer réussissait le tour de force de faire de l’orchestre revêche de Poulenc, souvent joué trop raide, un vrai roman de musique, gageure dont le Philharmonia, tour à tour décor ou acteur, était le véritable héros.

Spectacle indispensable. Le DVD se doit de l’immortaliser.

Jean-Charles Hoffelé

Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites
Paris-Théâtre des champs-Elysées, 10 décembre 2013
Prochaines représentations : 13, 15, 17, 19 21 décembre 2013

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