Journal

Portrait de Luigi Nono au Théâtre de la Ville - Prisonnier d'une époque ? - Compte-rendu

Cette édition du Festival d’Automne dédie sa section musicale à Luigi Nono, à travers six concerts destinés à raviver la mémoire du compositeur disparu en 1990. Depuis lors on a très peu entendu sa musique à Paris. Ainsi vont les oublis de l’Histoire de la musique…
 
C’est donc une forme de réparation que tente le pluridisplinaire festival d’avant-garde fondé par Michel Guy et poursuivi ardemment par Emmanuel Demarcy-Mota. Clou de ce cycle de concerts, le portrait donné au Théâtre de la Ville s’attache à illustrer la figure protéiforme du personnage, avec deux œuvres-clefs suivies d’une projection cinématographique. Les œuvres musicales correspondent à une époque, celle de la fin des années 1960, dans la perspective de mai 68. Et elles en portent la marque, au plus fort de l’engagement politique de Nono, comme on sait alors adhérent du Parti communiste italien.
 
Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz (extrait de Die Ermittlung, 1967) et A Floresta é jovem e cheja de vida (« La Forêt est jeune et pleine de vie », en portugais dans le texte, 1965-1966) en témoignent : dans un contenu ouvertement politique et un message de tribun appuyé – assez naïf, avec le recul du temps. La première pièce se contente d’une bande magnétique mono de quatre pistes, sorte de plainte sans parole passant régulièrement du forte au piano dans une couleur planante (à laquelle Stockhausen va bientôt aussi sacrifier).
La seconde page est plus développée, adjoignant au son électroacoustique un ensemble de percussions pour plaques de cuivre, une clarinette solo et quatre voix, dont une soprano et trois récitants. L’œuvre défile des textes, dans les langues les plus variées, de Fidel Castro, de Patrice Lumumba, d’un partisan vietcong, d’un guérillero angolais, d’un ouvrier révolutionnaire d’une usine de Detroit, etc.
Un peu daté, sinon rassis. Il est vrai que Nono avait expressément demandé que pour les reprises de son œuvre, les textes soient renouvelés dans des sujets puisés à l’actualité (politique) du moment. Vœu pieux, utopique, dont on ne voit pas trop qui, hormis des membres du défunt Parti communiste italien, pourrait aujourd’hui s’en charger… Fort heureusement, ces textes demeurent parfaitement inintelligibles, ce qui accomplit peut-être le souhait du compositeur de rester dans l’intention plutôt que l’illustration.
 
Pour cette musique en séquences, mêlées de chants ornés crypto-belcantistes, cris exaltés, sautes brusques et plages évanescentes, bruissements et bruits tonitruants, les composants de l’ensemble Parco della Musica Contemporanea s’acquittent impeccablement de leur tâche sous la direction de Tonino Battista. Le temps s’ébroue toutefois un peu languissamment, au long de ce qui était à son moment une œuvre expérimentale, dans le genre d’expérience que les compositeurs qui suivront ne reprendront plus (à commencer par le dernier Nono, qui deux ans avant sa disparition livre un Prometeo d’esprit lyrique, vaste cantate quasi baroque et sans doute le meilleur de sa production).
 
La seconde partie de soirée fait place à la projection du film d’Olivier Mille Archipel Luigi Nono, réalisé en 1988, où l’on suit les pas du compositeur dans sa Venise natale, entre propos quelque peu pontifiants (de Nono lui-même et d’un de ses assistants « philosophe »), images de répétitions de Prometeo et souvenirs touchants de celui qui était avant tout un grand sincère. Point final d’un portrait en forme de point d’interrogation. Nono ou le prisonnier d’une époque ?...
 
Pierre-René Serna
 
Paris, Théâtre de la Ville, 14 novembre 2014

Photo : Archives Luigi Nono, Venise © Ayants droit Luigi Nono, esquisse pour A Floresta é jovem e cheja de vida

Partager par emailImprimer

Derniers articles