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Platée à L’Opéra-comique - Fashion victim - Compte-rendu

La précédente collaboration ramiste entre Les Arts Florissants et Robert Carsen – Pour Les Boréades, à Garnier, en 2003 – n’avait pas franchement convaincu. Platée redresse la barre.
Si le metteur en scène canadien ne s’y départit pas de son esthétisme chic et glacé, celui-ci convient en somme assez bien à une intrigue dont il souligne l’indémodable cruauté : dans notre monde obsédé par l’apparence, le phénomène « girardien » du bouc émissaire a hélas de beaux jours devant lui.

La transposition de la fable mythologique dans un grand hôtel-showroom réservé à la jet set (noir laqué et faux cristaux) laisse d’abord perplexe. Mais dès l’apparition de Platée, crème au concombre sur les joues et tongs aux pieds, babillant pour la galerie, indifférente aux sourcils levés des people qui la cernent, une atmosphère se crée, rappelant le malaise distillé par certaines paraboles de Tennessee Williams, des films aussi différents et inégalement réussis que Sunset Boulevard ou Coco (d’Elmaleh !). Pour une fois, ouf, Platée n’est pas une bête grenouille mais juste une grande bonne femme trop riche et plus toute jeune qui se prend pour une beauté ; agaçante, grande gueule, mythomane, inculte mais aussi naïve et assoiffée d’amour, elle a envie d’y croire, refuse d’apercevoir les grimaces et ricanements qu’elle suscite. Prise dans le tourbillon d’une petite coterie de nuisibles (kilts griffés, fausses peaux de hyènes et vareuses corsaires : divins costumes de Gideon Davey !), vampée par un clone de Karl Lagerfeld qui fait de son quotidien un permanent spectacle, elle se retrouvera mise à nu, exposée, raillée, traînée dans la boue sous le flash des paparazzis et des mobiles, dans un finale bouleversant.

Certes Carsen file un peu trop longtemps la métaphore de la mode, déployant sans un pli d’hilarants défilés (fort bien adaptés aux « métamorphoses » de Jupiter, moins essentiels à l’entrée de la Folie), certes son Prologue patine et ses indications de jeu ne brillent pas par leur originalité, mais l’univers qu’il compose tient le juste milieu entre le mélo satirique et la revue musicale – ce qu’était bien la Platée originale (1745), « ballet bouffon » bizarrement écrit pour les noces du Dauphin !
 

Photo @ Monika Rittershaus

La réussite de la soirée doit beaucoup aux protagonistes et, particulièrement, à la Platée, un peu Michel Serrault, un peu Gloria Swanson, de Marcel Beekman, nouveau venu dans le sérail baroque – ténor aigu bien projeté et phrasé, malgré une certaine tendance à la sur-articulation, acteur flamboyant et pudique à la fois. Souvent excellemment entouré, notamment par João Fernandes, profond Satyre, Cyril Auvity, soyeux Thespis/Mercure et Emmanuelle de Negri, délicieuse Clarine. Edwin Crossley-Mercer manque encore un peu « de creux » pour Jupiter, de même que Marc Mauillon en Cithéron (le rôle de taille de Momus, du Prologue, lui convient mieux), mais leur abattage fait tout pardonner.

En Folie, l’on attendait beaucoup de la diva bas-rock de Leipzig, l’égérie tintinnabulante de l’opéra napolitain, Simone Kermes – laquelle met effectivement le feu à la rampe dans une entrée à la Lady Gaga. Légère déception : le contre-ré est là, le médium s’est étoffé mais la mollesse de l’émission et de l’élocution affadit plusieurs passages (dont l’Ariette de l’Acte III).
 
On parvient hélas au même constat au sujet des Arts Florissants, dans une forme moyenne. Faisons la part de la nouveauté (Platée est, avec Dardanus, le seul opéra de Rameau jusqu’ici absent de leur répertoire !) et des problèmes de santé qui ont empêché William Christie de diriger cette production, le forçant à laisser la baguette à son directeur musical adjoint, le ténor Paul Agnew. Ce dernier a hérité de ses récents travaux sur les madrigaux une attention aiguë à la texture harmonique, aux voix intermédiaires, à la polyphonie (superbes, « Formons un spectacle nouveau » et « Hymen, hymen »). Mais - est-ce dû aux habitudes d’un orchestre souvent décoratif ? - les attaques restent trop ouatées, les contrastes et rythmes peu incisifs (allegro de l’Ouverture, prélude raté de l’Acte II), les riforzandos dynamiques et le rubato (« Soleil, fuis de ces lieux ») absents, conduisant à une lecture où tout coule sans caracoler et où les « temps forts » se perdent.

Ajoutons que si le chœur s’affirme, comme toujours, magnifique, les instruments (les hautbois dans les Passepieds) manquent d’expressivité, tout comme la chorégraphie (à coups de désarticulations post-Pina Bausch) de Nicolas Paul – à une exception près : l’envoûtante danse japonisante illustrant les « menuets dans le goût des vièles ».
Public plutôt enthousiaste, mais pas unanime. Heureusement : Platée, qui a toujours gratté là où ça faisait mal, n’est pas l’amie du consensus…

Olivier Rouvière
 
Rameau : Platée – Paris, Opéra Comique, 20 mars, prochaines représentations les 24, 25, 27 et 30 mars 2014.
Retransmission du spectacle sur Mezzo et Mezzo Live HD en direct le 27 mars à 20h.

Photo @ Monika Rittershaus

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