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Philippe Jaroussky, Nathalie Stutzmann et Orfeo 55 à l’Arsenal de Metz - Trois Toques

L’aventure a été exaltante autant qu’opulente durant le quart de siècle que l’Arsenal de Metz fête cette saison : de la première note, lancée par Rostropovitch le 26 février 1989, à Margaret Price ou Evgueni Svetlanov et Martha Argerich, une galerie de monstres sacrés qui donnèrent au lumineux espace néoclassique conçu par Ricardo Bofill une envergure digne des plus grandes scènes internationales. Un beau livre raconte cette histoire, en photos significatives étayées de récits, critiques et interviews, outre une préface de la ministre Aurélie Filipetti dans laquelle elle évoque, parlant des murs qui furent la base de l’actuelle salle, « les lignes arides de la longue présence militaire ». Austères, ou sobres, auraient sans doute suffi !

Le public est toujours là, jeune, vivant, se pressant avec enthousiasme et curiosité pour découvrir la variété de ce qui est lui est proposé. Et la qualité musicale ne démérite pas : à preuve un concert éblouissant où l’harmonie des parties, faite d’excellence individuelle, d’engagement et d’intelligence, a permis d’inscrire une nouvelle page d’exception dans l’album de l’Arsenal. Ils étaient trois en piste, elle, Nathalie Stutzmann, chaleureuse contralto de velours, artiste inspirée, et chef à couver, eux, son ensemble Orfeo 55, lui répondant avec une ferveur presqu’émouvante tant elle est joyeuse, lui enfin, la star Philippe Jaroussky, sorti de son arrêt sabbatique, et aussi aérien, elfique, qu’il l’a toujours été, paraissant 20 ans alors qu’il en a 35.

Telle est la force de cette rencontre profonde, en un lieu touché par la grâce et dont les artistes en présence sont des habitués : Jaroussky parce qu’il y a plusieurs fois chanté, Stutzmann et les siens parce qu’ils y sont en résidence. Au menu, Vivaldi et Haendel. A la dégustation, rondeur, vivacité sans violence, légèreté sans excitation, le tout mené, d’une main si précise qu’on l’entend presque frémir, par cette femme-chef totalement fusionnelle avec ses interprètes. Un Vivaldi (airs de L’Olimpiade, de Giustino, de Farnace, outre des concertos pour cordes) si fruité sans hystérie, on l’avait presque oublié, un Haendel (Rodelinda, Radamisto, Ariodante, Orlando, Serse, Atalanta) si doré et si dosé, on ne le goûte que rarement. De formidables instrumentistes au son à la fois vif et charnu, même s’ils jouent sur instruments baroques, notamment une brillante hautboïste, Emma Black.

Et surtout, un vrai ballet qui se déroule devant le public sous le charme : la chef, enfouie dans l’orchestre, s’en détache peu à peu pour se faire interprète, le pupitre délicatement retourné vers le public, tantôt se retournant vers l’orchestre pour le reprendre en main, tantôt soutenue par lui lorsqu’elle se concentre sur la réplique qu’elle donne à Jaroussky en un duo qui semble né de la même impulsion, de la même compréhension des textes et des états musicaux. Le tout avec une souplesse aussi féline que réjouie. On repère parfois une subtile évolution dans le comportement de la chanteuse, laquelle ne peut s’empêcher de diriger imperceptiblement son partenaire, se muant peu à peu en chef qui chante, avant de n’être plus un jour que le grand chef qu’un Simon Rattle a adoubé.

Eclat, finesse, confiance, et bonheur total de la musique partagée, dans la simplicité des rapports humains et la complexité des rapports artistiques, telle fut la carte de ce tendre concert, que les messins ont acclamés avec une véhémence endiablée. Le bonheur était au rendez vous. Un bonheur goûté par beaucoup d’autres publics, puisqu’il s’agit d’une tournée européenne (1) qui se clôt en Suisse.

Jacqueline Thuilleux

(1)Prochains concerts : le 18 décembre, Philharmonie de Cologne, le 20 décembre, Victoria Hall de Genève.

Metz, Arsenal, 6 décembre 2013.

A lire: L’Arsenal, 25 ans de stars en scène, Editions Serge Domini, par divers auteurs, 35€.

Photo © Cyrille Guir /Arsenal Metz

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