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Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Toulon – Un spectacle mémorable – Compte-rendu

En 1962, le chef Serge Baudo faisait ses débuts à la Scala de Milan à la demande de Karajan dans Pelléas et Mélisande. A 89 ans, après une carrière légendaire, il reprend à Toulon l’ouvrage de Debussy et Maeterlinck avec lequel il entretient une relation intime (en 1978 il en avait d’ailleurs gravé une version au disque avec l’Orchestre national de Lyon - une référence).
 
Cette production de l’Opéra de Nice (2013), mise en scène par René Koering, évite le flou et le vague pour mieux cerner la psychologie des personnages. On peut être surpris par l’arrivée de Mélisande à vélo, l’absence de tour, les cheveux remplacés par un châle, mais les décors stylisés et épurés de Virgile Koering, cernés par des panneaux géométriques, installe une sensation de huis clos en osmose avec la densité musicale. Les éclairages de Patrick Méeüs, savamment dosés, ne laissent percer qu’incidemment la lumière dans une pénombre inquiétante (Golaud se confond avec la forêt), tandis que des projections vidéo figurent les éléments naturels (ciel, feu, eau)

© Frédéric Stéphan

La distribution, homogène, constituée de chanteurs français, se caractérise par une remarquable qualité de diction et d’expression de chacun. Le Pelléas de Guillaume Andrieux, fougueux, juvénile, mais aussi sensible et épanoui, correspond à ce que l’on attend d’une voix souple et bien projetée. Sophie Marin-Degor incarne une Mélisande décidée, sensuelle, particulièrement touchante dans la scène finale. D’une humanité bouleversante, le Golaud de Laurent Alvaro exprime les contradictions d’un homme pris entre son désir d’être aimé et sa violence intérieure (scène très réussie avec Yniold). Superbe timbre de baryton-basse, Nicolas Cavallier offre, davantage qu’un grand-père noble, un Arkel très humain (sa relation ambiguë avec Mélisande ...). Il parvient, dans la scène finale, à tirer des larmes par son chant bouleversant. Chloé Briot fait montre d’une belle intonation et d’un vrai sens théâtral en Yniold ; les brèves interventions de Thomas Dear comme médecin ou berger impressionnent par leur autorité. Seule Cornelia Oncioiu (Geneviève) demeure sur la réserve lors de la lecture, trop retenue, de la lettre à l’acte I.
 
L’Orchestre de l’Opéra de Toulon, conscient de l’événement, manifeste concentration et équilibre sous la direction inspirée de Serge Baudo qui sonde les cœurs et les âmes. Sobre dans ses intentions mais d’une finesse et d’une justesse stylistique constantes, sa lecture s’attache aux moindres couleurs sans jamais perdre de vue l’intensité du drame. Grâce à lui, cette représentation est un miracle de compréhension du langage debussyste ; elle laissera à tous un souvenir ému.
 
Michel Le Naour
 
Debussy : Pelléas et Mélisande - Toulon, Opéra, 29 janvier 2016

Photo © Frédéric Stéphan

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