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Pelléas et Mélisande à l’Opéra Comique - Pelléas, acte II – Compte-rendu

On ne retournait pas à ce Pelléas et Mélisande pour la mise en scène réaliste et pour tout dire terne de Stéphane Braunschweig, travail respectable mais qui produit un contresens majeur : rien dans la musique de Debussy n’appelle le réalisme, au contraire elle n’en veut pas. Non, on y retournait pour la distribution et pour une promesse.

Près de quatre années ont passé depuis les premiers pas du couple exemplaire que formaient Karen Vourc’h et Phillip Addis. Elle a gagné en assurance et en fantaisie - joueuse dans la scène de la fontaine, libre et comme improvisant pour la chanson de la Tour - et fait la Mélisande la plus naturelle, la moins composée qu’on ait croisée, même si par instant elle oublie de projeter ses mots, défaut accusé impitoyablement  à Favart où tout porte. Lui est devenu probablement le Pelléas idéal de sa génération. Jeune homme demeuré fragile, silhouette d’adolescent, mais la voix elle a évolué, s’est cuivrée, a pris du mordant. L’assurance du duo final, l’emportement vers un aigu plus conquérant que solaire donnaient le frisson.

Pourtant c’est Golaud qui leur a volé la vedette. Enfin, Laurent Alvaro se révèle, chanteur admirable on le savait depuis longtemps, mais soudain un acteur qui met dans ses mots une puissance suggestive rare, consubstantielle aux grands Golaud – Ils ne sont pas légion, Etcheverry, Van Dam, Le Texier, en attendant celui de Jean-François Lapointe à Nantes – sans pourtant jamais rien composer. La blessure lui est innée, le personnage devient limpide en créant son propre drame, évitant les abîmes d’un portrait psychologique très noir où Van Dam excellait. C’est plutôt depuis la simplicité fatale d’Etcheverry que Laurent Alvaro voit son Golaud. Admirable, tout comme tous les autres.

La lettre selon Sylvie Brunet devient non plus une parenthèse mais le nœud même du drame. Si Pelléas n’avait pas allumé la lampe, lui et Mélisande ne seraient pas mort. Derrière les mots Brunet met tout son art de tragédienne, fait rendre gorge à la moindre allusion, faisant entendre qu’elle lit une lettre qui ne lui est pas adressée mais dont elle connait toutes les conséquences, et cela sans avoir l’air d’y toucher. Quel art ! Pas moins que celui mis par Jérôme Varnier à un Arkel plus poète que vieillard, et qui tend sa ligne de chant comme sous l’archet d’un violoncelle. Les quelques mots du  Berger et du Médecin de Luc Bertin-Hugault tirent l’oreille, il faudra suivre ce jeune baryton, Dina Bawab fait aussi bien qu’elle peut sans faire oublier que non décidément pour Iniold il faut un boy-soprano.

Et la promesse ? On savait Louis Langrée immergé dans Pelléas et Mélisande depuis toujours. Le voir diriger son œuvre fétiche à l’endroit même où elle fut créée ajoutait encore à l’émotion que sa direction poétique, tendue et claire à la fois,  imprimait à l’œuvre. En fait, on ne la pas entendue mieux dirigée depuis Ansermet, fluide et mystérieuse, tenue et lyrique, un sorte de quadrature du cercle à laquelle même Gardiner n’était pas parvenu. L’Orchestre des Champs-Elysées lui offrait toujours couleurs et légèreté, mais la justesse, la simple beauté du son qui doivent tout de même bien pouvoir se trouver sur des instruments « d’époque » quasiment jamais hélas. Pourtant, on entendait enfin la nature sonore de l’orchestre de Debussy, et Favart l’accueillait avec subtilité, comme si soudain cette salle retrouvait son idéal et cessait de saturer. Comme quoi …
 
Jean-Charles Hoffelé
 
Debussy : Pelléas et Mélisande - Paris, Opéra Comique, 17 février, prochaines représentations 19, 21, 23 & 25 février 2014
http://www.concertclassic.com/concert/pelleas-et-melisande-de-claude-deb...

Photo © Elisabeth Carecchio

Lire l'interview de Phillip Addis : http://www.concertclassic.com/article/une-interview-de-phillip-addis-tou...

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