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Paris - Compte-rendu - Kirill Karabits dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France ; une confirmation

Ceux qui avaient entendu Kirill Karabits conduire une étouffante Quatorzième Symphonie de Chostakovitch lors des figures d’ouverture de Radio France cette saison étaient revenus pour assister à ce programme étrange où Stravinsky voisinait avec Katchaturian, et quel Stravinsky ! Fidèle à son goût des concerts à géométrie variable, Karabits ouvrait avec le périlleux Apollon Musagète, réservé au quatuor d’orchestre. Si l’Incipit, une des plus parfaite phrase mélodique coulée de la plume de Stravinsky, fut médiocre, tous les numéros qui suivirent , autant de variations, montrèrent un Apollon porté par les ailes de Mercure, les cordes du Philharmonique se surpassant en élégance, en pianos insondables, en figures expressives évanescentes, en camaïeux de gris ombrés. Quel art de l’allusion s’infuse sous la baguette du jeune chef ukrainien ! C’est presque outrepasser le pouvoir des dieux de transformer le rythme en respiration, et les couleurs en paroles.

Après de tels sommets atteints sans effort une fois l’orchestre éveillé, on aurait voulu entendre le décompte de la harpe ouvrant Orphée, ce fils d’Apollon, dans la mythologie comme sous la plume de Stravinsky. Las, revenant à sa tentation de la géométrie variable, ce fut le Concerto pour piano et instruments à vent, guère dans le son d’allumette de Frank Braley, un peu plus dans les timbres des souffleurs et des sonneurs parisiens, surtout lorsque l’ombre pas même masquée de la Symphonie en Ut emporte dans un grondement de grisou le final du premier Allegro.

En bis d’une exécution passablement flottante, Braley offrait le redoutable Tango, miniature traître sortie de l’imaginaire pervers du grand Igor. De ce Tango beau comme un Miro, où une guitare jaune citron égrène un thème en boucle, Braley perdit quasiment le fil, et mit quelques temps à le renouer. Mais au courage il faut rendre les honneurs. Tango n’est pas un bis, le jouer pour tel c’est prendre des risques et cela honore le pianiste.

Pour conclure un concert allongé par les nombreux changements de dispositif accomplis avec entrain par toute l’équipe technique du Philharmonique, Karabits avait choisi quatre numéros du Spartacus de Khatchaturian, formant une suite dans le ballet inédite à ce jour. Depuis quand a-t-on joué le Khatchaturian des grands opus dansés à Paris ? On en a raillé la vulgarité des mélodies. Sous la baguette droite, énergique et lyrique à la fois de ce jeune chef avisé, rien de commun ne saurait exsuder d’une musique aussi imaginative. Les couleurs éclatent, les rythmes obstinés exaspèrent et enivrent, la fournaise des percussions exécute un orchestre en apoplexie qui nous fait désirer le ballet entier. Alors que la musique de notre temps se retient depuis un demi siècle bientôt, ce baquet de sang et de sueur jeté en pleine galaxie est une résurrection.

Fallait-il pour autant passer des années néo-classiques de Stravinsky aux échappées romaines d’un Katchaturian contraint à se plier aux fourches caudines du post stalinisme? En tous cas, le contraste était saisissant et bien sûr en bis, une Danse du sabre aiguisée par un rémouleur divin finissait de brûler les dernières cartouches d’un orchestre visiblement amoureux de son jeune chef. Et si Karabits, pour son prochain concert nous concoctait tout un programme Stravinsky, l’Oiseau de feu version intégrale et en seconde partie Le Rossignol ou pour faire contraste Oedipus Rex ? Il est temps qu’à Paris on l’entende respirer avec des chanteurs.

Jean-Charles Hoffelé

Concert de Frank Braley, de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et de Kirill Karabits, salle Olivier Messiaen de la Maison de la Radio, Paris, le 16 janvier 2004.

Photo : Radio France / Christophe Abramowitz
 

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