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Paris - Compte-rendu : Ensorcelant Simon Keenlyside


Alors que le public se presse en cette fin d’année au Châtelet pour assister au West Side Story du cinquantenaire, l’invitation du grand baryton britannique Simon Keenlyside avait de quoi surprendre. C’est pourtant en créant de tels contrastes que Jean-Luc Choplin, le directeur des lieux, espère rassembler de nouveaux publics par un incessant mélange des genres : Woody Allen n’est-il pas annoncé pour jouer de la clarinette avec son New Orleans jazz Band, le 25 décembre ? Alors que le précédent récital de Simon Keenlyside au Châtelet (en mai 2002) était consacré à Schubert, déjà, et à des mélodies de Fauré et Poulenc, celui-ci était dédié à Schumann puis à Schubert.

Le chanteur a pris de court l’auditoire en lançant d’une voix impétueuse « La ballade du harpiste », sur un texte de Goethe issu des « Années d’apprentissage de Wilhelm Meister », où l’artiste proclame son désintérêt pour les biens de ce monde. Quelques mesures ont suffi à Simon Keenlyside pour chauffer son instrument, prendre la température de la salle et projeter les mots avec la précision et l’ardeur que nous lui connaissons.

Les Kerner Lieder, cycle de douze poèmes de Justinus Kerner mis en musique en 1840, directement enchaînés, ont plongé les auditeurs dans une douce (in)quiétude musicale. Dans un allemand parfait et avec une voix malléable qui répondait à la moindre demande, le baryton a dépeint les paysages de l’Âme et de la Nature si chers au romantisme. Caressant de son timbre magnétique ces jeunes pousses fraîchement écloses (« Erstes Grün »), évoquant avec délicatesse la nostalgie du passé (« Sehnsucht nach der Waldgegend »), sa vision parcourt une gamme d’émotions qui passe de l’intériorité au bonheur, avant de sombrer dans la désolation.

Accompagné en 2002 par Malcom Martineau, Simon Keenlyside a trouvé cette fois en Julius Drake un véritable double, dont l’engagement et l’intensité du jeu dépassent toutes les espérances. Comme chez Schumann, le chanteur possède le juste foyer vocal et la sonorité appropriée à la musique de Schubert. Immergé tout entier dans la musique et la dramaturgie, il sait communiquer au public sa perception des textes de Goethe, Fellinger ou von Schlegel, pour partager avec lui ces courtes séquences. Exigeant dans ses choix, Keenlyside a su s’écarter des standards habituels (ni « Forelle », ni « An Silvia »), pour offrir une sélection plus pointue, qui va de la simplicité de « Blondel zu Marien », à la démesure du long « Prometheus », pour culminer avec le sublime « Waldesnacht », qu’il avait vaillamment interprété en 2002, dans lequel sa voix, ses voix devrions-nous dire, rugissent du grave à l’aigu, grondent, éclatent, puis s’apaisent dans un style épique et flamboyant à couper le souffle.

Chaleureusement applaudi, le baryton a, sans se faire prier, offert une brassée de bis (5 au total), dont une mélodie en italien, prolongeant cette soirée avec Schubert - dont « Ratlose Liebe » et « Nacht Violen », irrésistibles jusqu’à la dernière note.

Prochain rendez-vous de Simon Keenlyside avec Paris en avril, pour une prise de rôle attendue : Wozzeck(1).

François Lesueur

Théâtre du Châtelet, 17 décembre 2007

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Photo : Seth Parker

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