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Paris - Compte-rendu - Deux orchestres et une voix, Yvonne Naef

Programme typique de cette saison d’exception que l’on aura vécue avec l’Orchestre de Paris. Pour la première partie Eschenbach infusait les sortilèges de la Kammersymphonie de Schreker aux instrumentistes hors normes de l’Ensemble Intercontemporain. Toute l’œuvre se construit autour du motif hypnotique de l’Ouverture des Stigmatisés, et coule dans son unique mouvement une alternance d’épisodes scherzandos et des espaces de purs rêves introspectifs, une musique pour Freud, une plongée dans l’inconscient à partition ouverte.

Après ce voyage dans la psyché que l’on est toujours étonné de faire à chaque fois que l’on entend cette œuvre au disque hélas plus souvent qu’au concert, Eschenbach avait convié Yvonne Naef (photo ci-dessus) pour la Chanson du Ramier des Gurre Lieder transcrite pour petit orchestre par Schoenberg lui-même. La voix est toujours aussi splendide, ce grand mezzo d’une ampleur soufflante, avec une maîtrise technique, une variété de couleurs, une subtilité des gradations dynamiques et un sens de l’expression que peu de ses consoeurs peuvent aligner, s’affirme toujours plus avant comme l’une des très grandes chanteuses de ce début de siècle, et le disque devrait vite saisir ses Mahler exceptionnels que se disputent Boulez et Chailly. Une ovation justifiée salua la plus intense Chanson du Ramier qu’il nous ait été donné d’entendre depuis Janet Baker et Brigitte Fassbaender.

En seconde partie, Eschenbach retrouvait son Orchestre de Paris pour une lecture tendue à rompre de la 9e Symphonie de Bruckner. Ceux qui ont eu la chance d’assister à l’interprétation intemporelle de la 7e donnée dans ces mêmes murs avec l’Orchestre de Philadelphie nous avaient prévenus : le Bruckner d’Eschenbach s’imposait avec une évidence révélatrice. La 9e ne fit pas exception, et les parisiens y firent feux de tous bois, se laissant conduire par leur chef au plus profond des mystères de l’œuvre, dominant les maelström de l’Allegro, emmenant le scherzo avec une rage poignante, poussant jusqu’aux limites de l’éther un Andante dissout en plein ciel. On en ressortait transporté.

Jean-Charles Hoffelé

Théâtre Mogador, le 10 juin 2004.

Photo: DR
 

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