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Paris - Compte-rendu - Amours tristes, reprise d'Alcina de Haendel


Avec ses Contes d’Hoffmann, cette Alcina de 1999 (déjà) demeure ce que Carsen aura produit de plus constamment inspiré pour le théâtre lyrique. Le royaume enchanté de la magicienne devient un vaste appartement qui semble tout droit sorti d’une toile de Hammershmoi, et ses transformations architecturales, dégagement de perspectives où enfermement des personnages sur le proscenium, sont aussi sobres qu’efficaces, le reste n’est que jeux de lumière et direction d’acteur.

Ces espaces neutres qui avec une simple modification d’éclairage peuvent produire des ombres immenses, comme lorsque au II Alcina se voit à jamais privée de Ruggiero (Ombre pallide) forcent les chanteurs à dessiner leurs personnages. Les amateurs du premier bel canto étaient à la fête en cette matinée du 16 avril, sauf avec Vivica Genaux, Horne de poche, et Bradamante malhabile avec une vocalise mitraillette, une couleur assez laide, un émission des plus bizarre et fort peu d’expression. Même à Garnier on sent la voix rapidement au taquet de ses possibilités.

Orgonasova enterrait à jamais les minauderies pénibles de Fleming mais elle ne présentait qu’une face de l’enchanteresse : la dépossédée. Son personnage évolue peu, dés le I elle porte en elle la certitude de son malheur final, et elle prendra soin de gommer les tentations de révolte et les instants de fureur qu’Haendel lui impose. Alcina sans pouvoirs, prisonnière de l’amour, vouée à sa perte, elle prenait une cohérence dramatique saisissante, et son chant fut divin, montrant une science vocale consommée. Mais pour ceux qui avaient encore devant les yeux et dans l’oreille le personnage flamboyant qu’y dessina Arleen Auger, elle risquait de paraître un rien pâle.

Devant autant d’art, le Ruggiero de Kasarova s’essayait lui aussi à un festival de chant pianissimo, mais il faudra rapidement que la mezzo bulgare parvienne à homogénéiser ses trois voix en une : le passage est encore délicat, l’intonation souvent perdue, mais là voix est belle, et l’artiste racée, capable d’un chant héroïque assez époustouflant (son Sta nell’Ircana pietrosa tana au III dont les vocalises en pleine chaire faisaient encore pâlir celles de Genaux). Ciofi est simplement idéale en Morgana, stylistiquement impeccable dans un rôle où Dessay avait failli, et son duo du III avec l’Oronte beau gosse de Toby Spence enchantait, surtout lorsque l’on se souvenait de l’humeur mutine qu’elle avait mise à son Tornami a vagheggiar du I. Pour compléter le tout le Melisso de Luca Pisaroni, au chant sobre et à l’autorité magistrale se révéla étonnant de présence dramatique lorsqu’il dévoile à Ruggiero la vraie nature d’Alcina.

Nelson, se parant des belles couleurs de son Ensemble Orchestral, joua le jeu de l’élégiaque, optant pour des tempos lentissimes laissant tout le génie mélodique de Haendel s’épandre à loisir. Sa battue nostalgique enchanta toute la représentation d’une tristesse que voulut certainement le compositeur. Alcina ne serait-il pas son opéra le plus mélancolique ?

Jean-Charles Hoffelé

Reprise d’Alcina de Haendel, Palais Garnier, le 16 avril 2004, également les 19, 22, 25, 28, 31 mai et 3 juin.

Photo : Eric Mahoudeau

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