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Ouverture du festival ManiFeste 2018 - Drôleries et rêveries - Compte-rendu

© Quentin Chevrier
Soirée en deux temps pour l’ouverture du festival ManiFeste de l’Ircam : une première partie dans la Grande Salle du Centre Pompidou, avec la création de Thinking Things du vétéran Georges Aperghis (né en 1945) ; puis un second volet, à deux pas dans l’église Saint-Merry (1), avec Not Here, concert-spectacle interprété et imaginé par Florentin Ginot à partir de pages actuelles pour contrebasse. Ou une manière de montrer la diversité que ManiFeste entend manifester dans ses concerts répartis tout au long des jours du mois de juin.

Thinking Things © Quentin Chevrier

Thinking Things se présente comme une action musicale (on ne dit plus « théâtre musical »), conçue pour la musique et la mise en scène par Aperghis, qui mêle chants et bruitages diversement sonorisés et transformés par la technique Ircam, vidéo et interventions de petits robots, avec cet humour caractéristique de notre compositeur. Le tout étagé sur une sorte de buffet de cuisine, ses compartiments qui s’ouvrent et se referment pour laisser place à une action en séquences archétypales dans des lumières changeantes. Les gentils robots ont la part belle, humanoïdes créés par Pierre Nouvel, qui ponctuent le spectacle de leurs mouvements saccadés. Une fable contemporaine, sur un texte en anglais et parfois en français, tiré d’un rapport militaire sur des drones et de la Phèdre de Racine, livré par bribes en manière d’onomatopées, entre dérision et réflexions sur les risques et les espoirs de la technologie et du machinisme. « La drôlerie pour conjurer le réel », selon les mots d’Aperghis.
La musique s’y conforme, avec ses sautes d’humeur, ses vibrations, ses reprises ou ses alanguissements, dans une esthétique pointilliste quelque peu répétitive bien dans la veine d’Aperghis. La technique Ircam, réalisée par Olivier Pasquet, participe de ce son réparti dans le jeu et l’espace. Richard Dubelski, Donatienne Michel-Dansac, Lionel Peintre et Johanne Saunier ont en charge une prestation vocale et scénique des mieux en phase. Et l’heure du spectacle s’écoule comme un rêve éveillé.
 
À l’église Saint-Merry, autre atmosphère mais pareillement onirique. Quatre contrebasses plantées sur quatre plateformes éclairées du dessous forment le décor des cinq pièces jouées et transposées par Florentin Ginot. Se succèdent l’obstiné Fury de Rebecca Saunders (née en 1967) daté de 2005, les créations françaises des versions pour contrebasse du discursif Jelek de György Kurtág (né en 1926), du piquant Obstinate d’Aperghis, de la volubile Toccatina de Helmut Lachenmann (né en 1935), et la création mondiale, commande de l’Ircam, de We Must en fins pizzicatos de Sebastian Rivas (né en 1975). Dans son corps-à-corps avec l’instrument, Ginot ajoute une dextérité sans faille à des interventions vocales que l’appoint Ircam diffuse en résonnances dans la nef. Un moment de forte présence, comme arrêté.
 
Pierre-René Serna

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(1) À noter que les « Rendez-vous contemporains de Saint-Merry » proposent tout au long de l’année des séries de concerts dédiées à la création musicale actuelle. Phénomène quasi unique au sein des églises de France.
Informations : rendezvouscontemporains.com
 
Paris, Grande Salle du Centre Pompidou, église Saint-Merry, 6 juin 2018.
 
Festival ManiFeste, du 6 au 30 juin 2018.
manifeste.ircam.fr

Photo © Quentin Chevrier
 

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