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Otello à l’Opéra Bastille – Un coup d’épée dans l’eau – Compte-rendu

Roberto Alagna a toujours aimé les défis, s’est toujours plu à dépasser les limites pour se prouver, ainsi qu’aux autres, ses capacités, quitte à se prendre les pieds dans le tapis et finir à genoux. Il est connu pour cela et c’est aussi pour cette raison que le public l’aime et le rejette depuis toutes ces années. Paris ne l’avait encore jamais entendu en Otello (à part en extraits et en concert à Pleyel avec Mula et Hvorostovsky juste avant de l’interpréter à Orange en 2014) (1), rôle qui, même il y a dix ans, ne s’est jamais inscrit naturellement dans ses cordes.

Roberto Alagna (Otello) © Charles Duprat - OnP

Il tenait à l’interpréter à la Bastille et les auditeurs de cette première d’une longue série s’en souviendront, comme d’une interminable épreuve ... A peine remis d’un refroidissement, le ténor est parvenu à chanter sans trop d’encombres jusqu’à l’entracte, mais au prix de phrasés longuement étirés pour permettre à la voix de trouver sa position et d’atteindre le haut du registre et d’un orchestre allégé à l’extrême pour ne pas écraser un instrument privé d’impact dans un si grand vaisseau. Alagna prend donc son temps, fait croire qu’il interprète alors que son héros vacille non pas par choix artistique, mais parce qu’il n’a plus l’ombre d’un slancio, ni la carrure pour venir à bout de ce rôle titanesque. Viennent s’ajouter à ce portrait vocal sans urgence, l’absence de caractérisation, de présence dramatique, de théâtre, cet Otello n’exprimant ni l’amour, ni le doute, ni la haine. A bout de force, Alagna a lutté toute la seconde partie contre une voix rebelle, graillonneuse, défaillante dans la zone médiane et grave, quelques rares aigus parvenant à sortir, mais trahissant des efforts surhumains pour ne pas abandonner. Plus que les maladies chroniques, la question du répertoire, des rôles à conserver ou auxquels dire adieu, s’annonce essentielle pour le ténor français qui n’a, bien sûr, pas encore dit son dernier mot.
 

Roberto Alagna (Otello) et Aleksandra Kurzak (Desdemona) © Charles Duprat - OnP
 
Son épouse, Aleksandra Kurzak chante parfaitement Desdemona, mais que tout cela est morne, sans aspérité, uniforme, l’air tant attendu du « Saule » ainsi désincarné, inhabité, faisant l’effet d’un long et pénible pensum. George Gagnidze aborde Iago sans aucune finesse, trace grossièrement les traits saillants de ce personnage central sans s’embarrasser de la justesse de la plupart de ses aigus, le fait d’éructer avec véhémence lui tenant lieu de cache misère. Frédéric Antoun (Cassio), fait peine à entendre, son petit instrument pincé ayant peu à voir avec celui du séducteur qu’il est censé incarner ; heureusement Alessandro Liberatore (Roderigo), Paul Gay (Lodovico), Thomas Dear (Montano) et Marie Gautrot (Emilia) sont de bons comprimari tandis que les Chœurs de l’Opéra se révèlent de puissants alliés.
Avec une direction anémiée, qui jamais ne gronde, ni ne fait rugir un orchestre qui n’attend que cela, Bertrand de Billy vient au secours de sa vedette sans pour autant servir la bouillonnante écriture verdienne. Un coup d’épée dans l’eau donc pour cette troisième reprise du spectacle créé en 2004 par un Andrei Serban en panne d’inspiration et qui, même corrigé en cours de route, comme cette fameuse scène du meurtre de Desdemona – gore au départ et bien atténuée ensuite – n’a jamais fait l’unanimité. La seconde distribution sera peut-être plus convaincante ...
 
François Lesueur

(1) www.concertclassic.com/article/roberto-alagna-iva-mula-et-dmitri-hvorostovsky-chantent-des-extraits-dotello-pleyel-avant
 
 
Verdi : Otello – Paris Opéra Bastille, 7 mars 2019 ;  prochaines représentations les 13, 16, 20, 23, 26, 29 mars 1 , 4 et 7 avril 2019// www.concertclassic.com/concert/otellohttp://www.concertclassic.com/article/roberto-alagna-iva-mula-et-dmitri-hvorostovsky-chantent-des-extraits-dotello-pleyel-avant

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