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Otello et ses plumes de corbeau

Une tempête avec projection d’éclairs, tout le chœur en ciré noir pour éviter le grain, cet Otello commençait plutôt bien, avec son grand mur penché qui barrait la scène. Dans la fosse, James Conlon inspiré par l’œuvre, faisait rugir ses musiciens. Durant toute la soirée il trouvera toujours le ton juste de l’œuvre, ne surchargeant rien, rendant à l’orchestre verdien toute sa formidable violence. On se souvenait parfois de Solti, qui marqua si longtemps les esprits avec son Otello du Palais Garnier. Ce n’est pas un mince compliment.

Puis le mur s’ouvrit, et Galusine paru. Otello improbable, vocalement en tous cas : le timbre est d’une laideur rare, barytonné, la justesse aléatoire, le style vériste. A fuir. Andreï Serban ne l’a pas aidé en l’affublant de costumes d’opérettes et en le faisant jouer le fou furieux jusqu’à en paraître ridicule. Otello risque sans cesse de tourner au grand guignol, il semble bien que le metteur en scène ait assumé ce péril et s’en soit fait une esthétique. Dommage, car Galusine et surtout le Iago de Jean-Philippe Lafont, pourtant plus « subtil » qu’à Orange, l’ont suivi sans broncher dans cette voie. A ce petit jeu, inutile d’espérer des arrières plans psychologiques, les compositions énormes des deux protagonistes enterrent illico leurs personnages qui semblent presque sortis d’un cartoon.

Heureusement, Barbara Frittoli ne se rangea pas à la caricature. Sa Desdèmone altière, noble, aimante mais maîtresse d’elle-même, reprend le flambeau exactement là où l’avaient laissé Renato Scotto et Ilva Ligabue. Technique imparable, qui regarde sans cesse vers le bel canto, mais porte surtout un vrai personnage. Du coup, le couple Cassio (un formidable Jonas Kaufmann, la révélation de la soirée) – Desdémone paraissait plus crédible que le couple Otello – Desdémone.

Un cocotier dont les palmes enserrent une lune trouble, un mur à la De Chirico, de discrets barbelés devant une mer de plomb, histoire de rappeler que nous sommes à Chypre, île martyre et subissant la partition de son territoire, tout cela faisait au fond d’assez jolis décors, gâchés simplement par ces horribles fauteuils Chesterfield, décidément incongrus. Serban avait replacé l’action au temps de Nadar, des photographes posaient leurs trépieds pour immortaliser la visite de l’envoyé du Doge. On espérait beaucoup du tableau final. Frittoli y fut bouleversante, mais Galusine y franchi, aidé par le metteur en scène, les bornes du ridicule. Quelques flottement chez les éclairagistes créèrent un léger malaise, l’orchestre se retrouvant dans le noir et des poursuites très music-hall se substituant pour quelques secondes aux lumières assez réussies, du moins pour le final, de Joël Houbeight. Otello entre, muni d’un panier, et dépose autour du lit de Desdémone des plumes de corbeaux. Le maure s’apprête à un rituel vaudou, la preuve, il se peint le visage. La pauvre Desdèmone, frappée de coups de couteau, étranglée dans son voile, finira son calvaire étouffée sous l’oreiller. Grand guignol de retour, assez désespérant, et qui laisse dubitatif.

Pourquoi appliquer ici des principes de dramaturgie vériste ? On aimerait bien poser la question au metteur en scène.

Jean-Charles Hoffelé

Programme détaillé de l’Opéra Bastille

Photo : ERIC MAHOUDEAU
 

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