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Olympie inaugure le 4e Festival Bru Zane à Paris - Spontini en compagnie d’un cicérone nommé Berlioz

Olympie fait sa réapparition, l’espace d’une soirée et d’un concert (1) au Théâtre des Champs-Élysées, avec Karina Gauvin dans le rôle-titre et Jérémie Rhorer à la baguette. Présageant le retour de Gaspare Spontini (1774-1851) dans les habitudes du répertoire actuel ? On aimerait bien le croire, pour ce musicien célébré par Berlioz, Wagner et tant d’autres de ses suiveurs … Mais on en est encore loin (2). La Vestale, son opéra le plus fameux, ne figure que de loin en loin sur les scènes, depuis Maria Callas, en 1954, confirmé plus tard par les restitutions sous l’égide de Roger Norrington ou Riccardo Muti, ou des représentations parcimonieuses en France, il y a plus de vingt ans à Nantes et en 2013 en ce même Théâtre des Champs-Élysées. Encore plus rare, Fernand Cortez avait revécu en 2001 juste le temps d’un concert et d’un disque (gravé par Jean-Paul Pénin). Alors que Agnes von Hohenstaufen reste toujours dans les limbes. Quant à Olympie, il s’agit cette fois presque d’une résurrection, grâce à l’entreprenant Palazzetto Bru Zane (dont le 4ème Festival parisien se prolonge jusqu'au 9 juin au Théâtre des Boufffes du Nord). On aura ainsi fait le tour des opéras – puisque notre compositeur s’est presque uniquement voué à cette forme musicale – qui ont fait en son temps la gloire éphémère de Spontini, depuis lors bien émoussée.
 
Il n’a pourtant pas manqué de défenseurs. Au premier rang desquels, Berlioz (3). Faisons-en donc notre guide. Car Spontini et Berlioz, c’est une attachante aventure comme aussi un témoignage inestimable. Spontini possède le rare privilège de figurer parmi les compositeurs dont Berlioz revendique l’héritage. Mais à la différence de Gluck, Beethoven ou Weber, il a eu l’occasion de le côtoyer, maintes fois, et de lui exprimer de vive voix, en sus de l’intermédiaire de ses articles ou de sa correspondance, son admiration.
 
Karina Gauvin @ Michael Slobodian
 
SOUS L’EMPIRE DE SPONTINI
Tout commence dans les premières années du musicien à Paris, débarqué fraîchement de sa Côte-Saint-André natale. C’est le temps où il a la révélation, au concert ou à l’opéra, de Gluck, des Danaïdes de Salieri, de Beethoven… et de Spontini. Weber, ou plus tard les œuvres de Cherubini et Rossini (Guillaume Tell, Le Barbier), sinon Donizetti (Lucia) et Mozart (La Flûte enchantée), attendent encore. Spontini, en effet, lui apparaît d’emblée, avec La Vestale, Fernand Cortez, puis Olympie. La Vestale s’inscrira dès lors comme une référence parmi les écrits de Berlioz. Mieux, un modèle ! Presque un thème de roman, ou plutôt de nouvelle : puisque la nouvelle Le Suicide par enthousiasme prend prétexte de cet opéra pour conter la passion démesurée d’un héros (Berlioz lui-même ?) qui le conduira à une fin fatale et quelque peu ironique. Quant à Olympie, Berlioz y assiste lors de sa reprise à l’Opéra de Paris en 1826, et s’en fait aussitôt l’écho enthousiaste dans sa correspondance : « C’est un ouvrage sublime, en tous points dignes de l’auteur de La Vestale. Spontini est parti la rage dans le cœur ; il a de quoi se consoler, toute l’Allemagne est à ses pieds. C’est le génie du siècle. » Avec toutefois ces réserves : «  Il y a des endroits qui sont trop chargés de cuivre ; en général, il l’a trop prodigué dans tout l’opéra. » Spontini le gratifiera de retour, lui offrant la partition dédicacée en 1830, avec ces mots : « En parcourant cette partition, mon cher Berlioz, souvenez-vous quelquefois de votre affectionné Spontini ». Berlioz ajoute : « J’ai couru le remercier et il m’a dit tant de choses enivrantes que j’en étais confondu. »
 
Car entre-temps, Berlioz n’aura cessé de courtiser le maître et de s’en faire le propagandiste inlassable. Presque seul en ce domaine… Il y aura eu ainsi différentes rencontres, lors de concerts ou représentations, des échanges de correspondances, de partitions, et même deux dîners chez Spontini (le 11 mai 1839, et dix ans plus tard le 22 février 1849). Mais espacés. Car les hasards de l’Histoire et des circonstances, ont voulu que la renommée du jeune musicien à Paris monte quand l’éclipse du compositeur mature survenait dans la capitale française. Les représentations d’Olympie à Paris en 1826 marquent en effet le départ définitif de Spontini. Pour Berlin, où il retrouve son poste de directeur de l’Opéra. « Quand, huit ans plus tard, Olympie fut remise en scène, Spontini, nommé dans l’intervalle directeur de la musique du roi de Prusse, trouva à son retour de Berlin un grand changement dans les goûts et les idées des Parisiens. La secte des dilettanti purs déchirait à belles dents tous les autres compositeurs. La musique d’Olympie fut traitée de plain-chant, M. de La Rochefoucauld refusa de prolonger de quelques semaines le séjour à l’Opéra de Mme Branchu, qui seule pouvait soutenir le rôle de Statira, qu’elle joua seulement à la première représentation pour son bénéfice de retraite ; et tout fut dit. Spontini, l’âme ulcérée par d’autres actes d’hostilité qu’il serait trop long de raconter ici, repartit pour Berlin, où sa position était digne, sous tous les rapports et de lui-même et du souverain qui avait su l’apprécier. »
 
Hector Berlioz (1803-1869) © DR
 
UN PROPAGANDISTE INLASSABLE
Berlioz a consacré, au long de sa carrière de critique, non moins de seize articles, entiers ou partiels, au compositeur. Il en fera le sujet de trois de ses « soirées » dans son ouvrage Les Soirées de l’orchestre. Et le citera à de nombreuses reprises, tout en prenant deux exemples musicaux tirés de La Vestale, dans son Traité d’instrumentation et d’orchestration. Revenons sur l’hommage qu’il lui dédie au lendemain de sa mort, où l’on trouve au reste une liste exhaustive et utile des opéras de la période italienne notamment, que l’on aurait du mal à rencontrer par ailleurs : « Spontini ne fut point un musicien proprement dit, il n’appartenait pas à la classe de ceux qui tirent la musique d’eux-mêmes et qui écrivent sans qu’une idée venue d’autrui soit nécessaire pour faire naître en eux l’inspiration. Il n’eût en conséquence réussi, je le crois, ni dans le quatuor, ni dans la symphonie ; la grâce et le charme de ses airs de danse, la majesté et le brio de certaines parties de ses ouvertures, sont incontestables sans doute, mais n’empêchent point de reconnaître qu’il n’a pas même tenté d’aborder la haute composition instrumentale.

 « Il fut, avant tout et surtout, un compositeur dramatique, dont l’inspiration grandissait avec l’importance des situations, avec la chaleur des sentiments, avec la violence des passions qu’il avait à peindre. De là le pâle coloris de ses premières partitions, écrites sur de puérils et vulgaires livrets italiens ; l’insignifiance de la musique qu’il appliqua au genre plat, mesquin, froid et faux dont l’opéra-comique de Julie est un si parfait modèle ; de là le mouvement ascendant de sa pensée sur les deux belles scènes de Milton. De là enfin la prodigieuse et soudaine explosion du génie de Spontini dans La Vestale, cette pluie d’ardentes idées, ces larmes du cœur, ce ruissellement de mélodies nobles, touchantes, fières, menaçantes, ces harmonies si chaudement colorées, ces modulations inouïes, ce jeune orchestre armé à l’antique, et cette vérité, cette profondeur dans l’expression et ce luxe de grandes images musicales présentées si naturellement, imposées avec une autorité si magistrale, étreignant la pensée du poète avec tant de force qu’on ne conçoit pas que les paroles auxquelles elles s’adaptent aient jamais pu en être séparées. »

Ce qui n’empêche pas quelques pointes de réserve : « Les incorrections de style harmonique tant de fois reprochées à Spontini sont en si petit nombre dans La Vestale, qu’il y a affectation évidente ou mauvaise foi à les citer. C’est à peine si l’on en peut trouver deux bien réelles, qui devraient même passer pour des distractions de l’auteur, et qu’en tout cas l’auditeur le plus attentif et le mieux prévenu est incapable de remarquer à l’exécution. Il y a, non pas des fautes involontaires, mais quelques duretés d’harmonie faites avec intention dans Cortez ; je ne vois que de très magnifiques hardiesses en ce genre dans Olympie. Seulement, l’orchestre si richement sobre de La Vestale se complique dans Cortez et se surcharge de dessins divers et inutiles dans Olympie, au point de rendre parfois l’instrumentation lourde et confuse. »

ET QUELQUES PIQUES D’IRONIE
Wagner, dans ses Souvenirs sur Spontini, repris dans Mein Leben, veut même que Berlioz l’ait accompagné dans ses derniers instants. « Plus tard, Berlioz me fit part de la mort du maître, qu’il avait assisté fidèlement dans son agonie ; il m’apprit qu’aux approches de sa fin, Spontini s’était regimbé de toutes ses forces contre cette extrémité, et qu’il s’était écrié à maintes reprises : "Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir !" En guise de consolation, Berlioz lui dit : "Comment pouvez-vous penser mourir, vous, mon maître, qui êtes immortel !" "Ne faites pas d’esprit !" lui répliqua le vieillard en colère. » Propos apocryphes, probablement retranscrits par le biais de l’imagination fertile de Wagner. Puisque Berlioz n’était pas à Maiolati les jours précédant le 24 janvier 1851, lors du décès du maître retiré dans sa ville natale. Ce serait plus vraisemblablement à rattacher au dîner deux ans plus tôt chez Spontini, à Paris le 22 février 1849. Tel que Berlioz le décrit dans une lettre à sa sœur Nanci : « Il a la monomanie de se croire mourant, à chaque instant de la journée il dit que son heure est venue. Il m’a invité à dîner avant-hier ; j’ai passé la soirée à le raisonner, à lui démontrer qu’il se portait bien. Rien n’y fait. Il me saisissait dans ses bras avec une sorte de frénésie, en disant : "Ah mon cher Berlioz, j’ai tant horreur de la mort !... et mon heure est venue, je le sens bien. Vous me remplacerez à l’Institut. Veillez à ce qu’on ne fasse point de musique à mes funérailles." » Après la disparition de Spontini, Berlioz devait effectivement se présenter à l’Institut, mais c’est Ambroise Thomas qui fut élu (il attendra 1856 pour être finalement admis).
 
On notera ainsi que Berlioz ne passe pas sous silence le caractère irascible du personnage. « Je l’aimais, cet homme peu aimable, à force de l’avoir admiré. D’ailleurs les aspérités mêmes de son caractère m’avaient attaché à lui, sans doute en s’accrochant aux aspérités du mien », écrit-il au compositeur russe Alexeï Lvov. Il va même jusqu’à l’égratigner. Avec ces paroles qu’il met dans la bouche du maître de musique Somarone caricaturé dans Béatrice et Bénédict : « Mesdames et Messieurs... le morceau que vous allez avoir l’honneur d’exécuter est un chef-d’œuvre ! Commençons ! » Reprises du mot, qui avait fait le tour de l’Europe, de Spontini à l’adresse de ses interprètes au moment de diriger la répétition générale d’Olympie à Berlin : « Messieurs, Olympie est un chef-d’œuvre ! Commençons ! »

Jérémie Rhorer © cercledelharmonie.fr
 
LA PLACE D’OLYMPIE
Quant à Olympie, Berlioz y revient par quatre fois dans ses articles, notamment pour y louer : « la marche funèbre, l’air du tombeau, la marche triomphale et religieuse, le chœur des prêtres de Diane consternés quand la statue se voile, la scène et l’air extraordinaire où Statira, sanglotante d’indignation, reproche à l’hiérophante de lui avoir présenté pour gendre l’assassin d’Alexandre ; ces innombrables récitatifs beaux comme les plus beaux airs et d’une vérité d’accent à désespérer les maîtres les plus habiles ; ces morceaux lents pour la danse, qui, par les rêveuses et molles inflexions de leur mélodie, évoquent le sentiment de la volupté en le poétisant. » Et il en inscrira des extraits lors de l’un de ses derniers concerts, à Cologne le 22 février 1867. Comme un ultime hommage …
 
Librement inspiré de la tragédie éponyme de Voltaire, Olympie a subi bien des déboires, depuis sa création en 1819 à Paris pour sept uniques représentations aux recettes déclinantes, sa reprise modifiée à Berlin (avec un dénouement renversé et heureux) en 1821, puis son dernier état, tout aussi mal reçu à l’Opéra de Paris en 1826. Ainsi que le relate Berlioz : « À sa première apparition, ni à la reprise qu’on en fit en 1826, celui-ci ne put obtenir le succès qui, selon moi, lui était dû. Diverses causes concoururent fortuitement à en arrêter l’essor. Les idées politiques elles-mêmes lui firent la guerre. Dès lors [en 1819] le parti libéral tout entier se montra hostile à l’œuvre nouvelle. L’assassinat du duc de Berry, ayant fait fermer le théâtre de la rue Richelieu [l’Opéra de Paris de l’époque] peu de temps après, interrompit forcément le cours de ses représentations, et porta le dernier coup à un succès qui s’établissait à peine, en détournant violemment des questions d’art l’attention publique. » Olympie saura-t-il mieux séduire le public de 2016 ? Les auditeurs du théâtre de l’avenue Montaigne tiennent la réponse.

 
Pierre-René Serna

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(1) Un enregistrement est programmé, à paraître dans la collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane
(2) Voir la présentation de Spontini par Olivier Rouvière : www.concertclassic.com/article/gaspare-spontini-1774-1851-de-lopera-buffa-au-drame-musical
(3) À noter la toute fraîche parution du complément de la Correspondance générale de Berlioz, Tome IX, avec en particulier deux lettres jusqu’ici inédites de Spontini adressées à Berlioz. Nouvelles Lettres de Berlioz, de sa famille, de ses contemporains / Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 792 pages, 30 €.
 
 
Spontini : Olympie (version de concert)
Karina Gauvin, Kate Aldrich, Charles Castronovo, Patrick Bolleire, Josef Wagner
Chœur de la Radio Flamande, Le Cercle de l’Harmonie, dir. Jérémie Rhorer
3 juin 2016 – 20h
Paris – Théâtre des Champs-Elysées 
www.theatrechampselysees.fr/saison/opera-en-concert-oratorio/olympie?parentTypeSlug=opera

4ème Festival Bru Zane à Paris
Du 3 au 9 juin 2016 
Théâtre des Champs-Elysées (le 3), Théâtre des Bouffes du Nord (du 4 au 9)
www.bru-zane.com/?festivals=2-festival-palazzetto-bru-zane-a-parigi&lang=fr

Notez que la webradio du Palazzetto Bru Zane est accessible depuis le 18 mai via classicalradio.bru-zane.com/live/player/

Photo (Gaspare Spontini ) © DR

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