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Olivier Greif vivant - Une interview d’Anne Bramard-Blagny, documentariste

Treize ans après la disparition subite d’Olivier Greif dans sa cinquantième année, le 13 mai 2000, paraît une somme éclairante. Constituée de douze DVD (1) et d’un recueil d’entretiens avec les amis du compositeur (2), elle nous le fait soudain si proche, comme niant sa mort. L’entreprise, commencée en 1999 à l’occasion de la commande par Mezzo d’un film dédié à l’artiste, a pris au fil des ans des proportions étonnantes qui ont permis à Anne Bramard-Blagny de donner à voir et à entendre toutes les facettes d’une œuvre et d’une personnalité inclassables, mais surtout de prendre la mesure d’un créateur de premier ordre, resté à l’écart de toute école.

Radio France apportera bientôt aussi sa contribution à la découverte d’Olivier Grief puisque le 28 octobre (à 19h) aura lieu, au Studio 104, l’enregistrement public du vaste Quatuor n°4 « Ulysses », interprété par les archets de l’excellent ensemble Syntonia(3). Il sera diffusé le 17 novembre (à 15h 30) sur France Musique dans le cadre de l’émission « Plaisir du Quatuor » de Stéphane Goldet.

Quand et comment avez-vous découvert l’œuvre d’Olivier Greif ?

Anne Bramard-Blagny : J’ai découvert l’œuvre d’Olivier Greif en 1998 grâce à Pascal Amoyel, un pianiste que j’aime tout particulièrement, autant pour sa démarche intellectuelle que pour sa démarche musicale. Un jour il m’a invitée à découvrir la musique d’Olivier en me faisant entendre la Sonate de Guerre. Je n’avais jamais rien écouté de semblable et il m’est arrivé ce qui arrive en général à toute personne qui découvre cette musique. Soit on est fasciné, on a adoré et on parlera toujours avec passion, soit on ne l’aime pas du tout et on ne l’entendra plus jamais ; vous comprendrez que bien évidemment j’ai aimé. Je n’avais jamais entendu ce genre d’écriture musicale, cette histoire racontée par les notes : le calme, la guerre, Auschwitz, la vie qui reprend ; tout cela était dans cette musique. J’ai décidé de capter l’œuvre à la Salle Cortot avec Pascal Amoyel, Olivier était présent, ce fut notre première rencontre.

Quel écho a trouvé chez vous la veine mystique qui a envahi Olivier Greif totalement à partir de ses trente ans ?

A. B.-B. : Je suis documentariste, je dois repérer des choses qui m’intéressent, qui m’interpellent, et ensuite sans trop m’investir, je dois écrire quelques chose qui a du sens. Comprenez moi bien, je ne suis pas en train de vous dire que je suis complètement étrangère à sa démarche, ce « d’où je viens, qui je suis, où vais-je, qu’adviendra-t-il de moi une fois que je serai parti ? ». Cette démarche m’interpelle tout particulièrement, je l’ai moi-même conduite en allant partager des instants de vie avec des sorciers en Amazonie péruvienne, j’ai réalisé cent quatre-vingts documentaires en partie autour de ces thèmes. Je ne me suis pas laissée envahir par la propre démarche d’Olivier, je l’ai simplement observée en me disant que les vingt ou trente années - cela dépend comment on considère son évolution - durant lesquelles il s’est coupé du monde pour créer et réfléchir lui ont été essentielles. Il n’aurait pas du tout écrit les mêmes œuvres s’il n’y avait pas eu ces années de silence, enfin, de silence relatif ; cela n’a jamais été une retraite absolue, il continuait de composer. Je comprends cette démarche car, comme Olivier, je suis artiste en résidence à l’Abbaye de La Prée où en effet on se trouve coupé de l’extérieur, recentré sur son travail, sa création. Ce n’est pas forcément une retraite spirituelle, c’est se défaire du téléphone, d’internet, de tout ce qui peut causer diversion. J’ai éprouvé le même besoin fondamental qu’Olivier et cela m’a permis de mieux comprendre son cheminement et sa création.

Où situeriez-vous l’œuvre d’Olivier Greif dans le paysage musical contemporain, quelle première œuvre conseiller à un novice ?

A. B.-B. : Olivier était un compositeur atypique ; il a décidé d’aller puiser dans le patrimoine musical et de recréer un art qui lui soit propre à partir de ces éléments, que ce soit du Bach ou l’hymne des footballeurs irlandais. Pour lui aucune musique ne devait être rejetée dans l’hypothèse où elle pouvait participer à une création. En cela, mais pas seulement, je le rapprocherais volontiers de Philippe Hersant, auquel d’ailleurs on a fait les mêmes reproches. Curieusement ils étaient ensemble au Conservatoire. Il adorait la musique de Chostakovitch. Un jour qu’on lui présentait la veuve du compositeur russe, il a dit en tremblant « j’ai l’impression de rencontrer Madame Mozart ».

Quelle première œuvre conseilleriez-vous à un novice pour commencer à découvrir la musique d’Olivier Greif ?

A. B.-B. : Le Tombeau de Ravel. C’est paradoxal lorsque l’on songe à Olivier qui se trouve dans une mouvance musicale à l’inverse de ce qui se passe en France, Olivier, le disciple de Berio, Olivier qui fréquente Dali et Warhol, qui vit dans le tourbillon de Manhattan loin du dogme de la musique atonale, mais qui pourtant est nourri du répertoire classique, heureux de son Prix de piano au Conservatoire. Le Tombeau de Ravel rend bien compte de cet élan dynamique mais on y entend aussi l’arrêt, le questionnement.

Comment voyez-vous rétrospectivement le premier opus que vous avez consacré à Olivier Greif et qui est un film en soi, « Nuits, démêlées » ?

A. B.-B. : Je l’ai commencé en 1999 et je l’ai repris lors du dixième anniversaire de sa mort, en 2009. Je suis arrivée dans mon existence à un moment où j’ai besoin de prendre tout le temps que je juge nécessaire pour parachever mes travaux. J’ai mis longtemps à boucler « Nuits, démêlées » car à chaque fois qu’une œuvre d’Olivier était jouée j’allais filmer le concert, je discutais avec les musiciens, avec le chef d’orchestre, avec les compositeurs qui se trouvaient dans la salle, je les interviewais. Le DVD musical était une œuvre en soi puisqu’il m’était commandé par Mezzo, mais pour le réaliser j’ai été amenée à amasser une quantité considérable de témoignages et de documents, une immensité de rushes.

Comment avez-vous procédé pour écrire le roman fleuve que constituent ces douze DVD ?

A. B.-B. : Lorsque j’engrangeais le matériau pour « Nuits, démêlées » j’avais à mes côtés toute une équipe de jeunes qui se sont pris de passion pour cette musique, et ont tourné les séquences, réalisé les captations à leur propre façon, avec des caméras plus libres que la mienne, qui collaient au rythme de la musique. Julia, qui montait le film, a elle aussi adhéré au rythme musical quitte à réaliser des montages délirants. Il était évident que toute cette matière visuelle et sonore appelait une édition bien plus vaste, qui a abouti aux douze DVD publiés aujourd’hui. Je suis très heureuse de ce projet mené à bien, mieux, j’en suis fière. Je le dis d’autant plus volontiers que jusqu’à présent j’ai toujours été assez insatisfaite par le résultat de mon travail ; j’ai toujours souhaité revenir donner un coup de pinceau sur la toile, comme Bonnard. Mais pas cette fois, les quarante captations, les quarante interviews sur lesquelles reposent les douze DVD font un ensemble que je ne retoucherais pas, même si nous n’avons eu que très peu de moyens pour réaliser un tel travail.

Par quel « moment » de ce vaste ensemble conseilleriez-vous de commencer ?

A. B.-B. : Si on veut comprendre le fond des choses, par le deuxième DVD où s’explicite la relation de Pascal Amoyel avec Olivier. D’un autre côté, si l’on veut commencer par son œuvre la plus célébrée on pourra regarder la captation des Chants de l’âme. Si l’on veut une interprétation exceptionnelle, il faut voir le Concerto pour violoncelle sous l’archet d’Henri Demarquette, dirigé par Jean-Claude Casadesus. Mais mon choix propre, c’est L’Office des Naufragés, testament musical et spirituel d’Olivier.

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 6 septembre 2013

(1)Les Incontournables d’Olivier Greif / deux coffrets de 6 DVD
www.abbreportages.com
(2)« We are the words », entretiens aves le amis d’Olivier Greif, Editions Delatour France - 144 pp, 19 euros
(3) www.ensemblesyntonia.com

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Photo : Olivier Greif à l’âge de 27 ans / DR
 

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