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​Ô mon bel inconnu de Hahn & Guitry à l’Opéra de Tours (reprise à Paris du 7 au 16 / 04 / 2023) – Fidèle et charmeur — Compte-rendu

 
 
Tandis que toute une partie de la France retenait son souffle en attendant l’issue de la Coupe du monde de football, quelques centaines d’irréductibles mélomanes s’étaient réunis à l’Opéra de Tours pour assister à la deuxième représentation d’Ô mon bel inconnu (1), second fruit de la collaboration entre Reynaldo Hahn et Sacha Guitry, après Mozart créé en 1925. Yvonne Printemps n’ayant alors plus tout à fait sa place dans la vie du dramaturge, c’est sans elle – et sans lui – que fut créée en 1933 cette nouvelle « comédie musicale ». Cette désignation mérite qu’on s’y arrête car elle signifie en réalité qu’on a affaire à une pièce de théâtre, majoritairement parlée, où la musique tient un rôle certes non négligeable, mais sans qu’aucune des deux composantes ne puissent être sacrifiée. Autrement dit, pour remonter ce texte et cette partition, il faut plus que jamais réunir des artistes polyvalents.
 

© Marie Pétry

En 2019, quand le Palazzetto Bru Zane a voulu enregistrer l’œuvre, il avait été très sagement décidé de renoncer entièrement au parlé ; cette fois, bien sûr, pour une reprise scénique, il fallait y revenir, et le défi était tout autre. De la distribution du disque, seul Carl Ghazarossian a survécu : ironie suprême, son rôle est celui d’un muet… Quant aux autres, ce ne sont évidemment pas des inconnus pour qui suit les productions du PBZ, bien au contraire : Marc Labonnette était récemment le baron de Gondremarck dans une Vie parisienne qui poursuit sa tournée dans les théâtres de France et de Navarre (et même de Belgique, puisqu’elle est en ce moment à Liège), Sheva Tehoval était la princesse Fantasia d’un Voyage dans la lune qui a encore plusieurs étapes à parcourir, et Clémence Tilquin participa à la résurrection de Proserpine de Saint-Saëns. Le point commun entre ces chanteurs, qu’ils partagent avec les deux nouveau-venus dans l’écurie PBZ, Victor Sicard et Jean-François Novelli, c’est l’aisance avec laquelle ils passent d’une voix à l’autre, aisance d’autant plus nécessaire que le chanté s’insère parfois dans le parlé pour une incursion très brève (voir l’Air du coup de téléphone au deuxième acte).
 

© Marie Pétry
 
On ne saura jamais ce que les artistes du disque auraient fait de tout ce texte à déclamer, mais ceux la distribution tourangelle se tirent haut la main de l’exercice, avec l’aide qu’a pu leur apporter Emeline Bayart qui, non contente d’incarner une Félicie haute en couleurs, s’est chargée de la mise en scène. Rien ici de révolutionnaire, la pièce de Guitry ne sort pas du cadre du boulevard, et c’est sans doute tant mieux. Pas d’actualisation non plus, le texte ne s’y prête guère. Avec un décor capable de se transformer de chapellerie en villa de bord de mer, et des costumes évoquant les années 1930, l’intrigue se déroule avec clarté et le public s’amuse. Dans la fosse, Marc Leroy-Calatayud met en valeur tout le raffinement de l’écriture de Reynaldo Hahn : en dehors de quelques pages plus rythmées (l’air de Félicie et son duo avec M. Victor, les ensembles concluant les deuxième et troisième actes), la partition se situe plutôt du côté de la douceur et de la rêverie, aspects auxquels rend tout à fait justice l’Orchestre symphonique région Centre-Val de Loire/Tours.
 

© Marie Pétry
 
Parfait en muet, sans le moindre excès dans ses mimiques, Carl Ghazarossian profite pleinement du grand monologue finalement offert à Lallumette. Son confrère ténor Jean-François Novelli est un Jean-Paul des plus cocasses et réussit sa métamorphose en M. Victor pour le dernier acte. Voix de velours et geste élégant, Victor Sicard campe un séduisant Claude. Marc Labonnette a le profil exact de Prosper Aubertin, conjuguant autorité dramatique, il en faut beaucoup dans un rôle aussi développé, qui aurait échu à Guitry lui-même s’il avait su chanter, et aisance dans le grave, car Reynaldo Hahn n’a pas ménagé l’interprète. Emeline Bayart ne passe pas inaperçue, mais sa voix, qu’elle n’hésite pas à rendre un brin discordante ailleurs, se fond idéalement dans le célèbre trio. Sheva Tehoval a la silhouette juvénile et le timbre clair qu’appelle le personnage de Marie-Anne. Quant à Clémence Tilquin, c’est un bonheur d’entendre une grande mozartienne dans le rôle d’Antoinette, et Reynaldo Hahn n’aurait peut-être jamais osé rêver d’être aussi bien servi.
Avis est donc donné aux spectateurs parisiens, qui pourront voir ce spectacle à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet en avril, une douzaine d’instrumentistes des Frivolités Parisiennes (sous la direction de Samuel Jean) remplaçant alors l’orchestre de Tours.
 
Laurent Bury

(1) Coproduction Bru Zane France, Opéra de Tours, Opéra Grand Avignon, Opéra de Rouen Normandie et Opéra de Massy

 
Reynaldo Hahn : Ô mon bel inconnu –  Tours, Grand Théâtre, 18 décembre ; prochaine représentation 20 décembre 2022 // bit.ly/3hv451a
Reprise à Paris (Théâtre de l’Athénée) du 7 au 16 avril 2023 // www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/o-mon-bel-inconnu.htm

  

Photo © Marie Pétry

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