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Nicolas Stavy interprète Les Heures dolentes à l’Amphithéâtre Bastille – Dupont retrouvé – Compte-rendu

 Originalité des programmes, qualité des interprètes, tarifs raisonnables : conçue par Christophe Ghristi, la programmation de l’Amphithéâtre Bastille a su fidéliser son public. Il répond une fois de plus en nombre pour découvrir un programme essentiellement dédié à Gabriel Dupont (1878-1914) dont on célèbre le centenaire de la disparition cette année.

Entrée en matière chorale avec les Chansons normandes (1900). Trois pièces pleine de charme, bien défendues par les femmes du Chœur de l’Opéra de Paris, dirigées par Patrick Marie-Aubert, et ponctuées avec tact par les interventions de la soprano Andreea Soare, remarquable pensionnaire de l’Atelier lyrique.
Le piano de Nicolas Stavy accompagne ces pages avec finesse, tout comme La Damoiselle élue qui suit. Conception d’ensemble très pastel, un peu trop sans doute, défendable néanmoins compte tenu des sources préraphaélites de l’œuvre. La voix ambrée de Soare en Damoiselle séduit autant que laisse réservé la prestation de la mezzo Julie Pasturaud en récitante, extérieure à l’interprétation qui se donne de ce Debussy de jeunesse sous la direction sensible de P. M. Aubert.

Mais c’est la seconde partie de la soirée qui en fera tout le prix avec l’intégrale des Heures dolentes de Dupont sous les doigts de Nicolas Stavy. On sait gré à cet artiste curieux de s’être aventuré dans un beau recueil de quatorze morceaux composés entre 1903 et 1905. A en juger par l’accueil enthousiaste de la salle, il a bien fait de se lancer dans cette aventure et on ne peut que l’encourager à continuer de jouer ces pièces, soit dans leur totalité, soit en en sélectionnant quelques unes et en les mêlant à Fauré, Debussy ou d’autres contemporains.

Des influences se font sentir - très fauréen Après-midi de dimanche, citation de « Nous n’irons plus au bois » à la manière des Jardins sous la pluie de Debussy dans Des enfants jouent dans le jardin -, mais si le jeune compositeur (Dupont n’a que 25 ans en 1903) fait entendre certains échos de son époque, il n’en possède pas moins une vraie personnalité. Le médecin, La mort rôde, Nuit blanche- Hallucinations : comme le suggèrent certains titres, la mise route de la composition des Heures dolentes est concomitante des premières manifestations de la tuberculose qui allait emporter le musicien une décennie plus tard.

La force de l’interprétation de Nicolas Stavy est de ne pas céder à un caractère confiné, un côté chambre de malade, mais de privilégier la vie et une dimension très « aérée » (le compliment ne vaut pas que pour la fluide Chanson du vent ) au moyen d'un jeu subtilement timbré, tout en restituant l’imaginaire poétique singulier de Gabriel Dupont. « Le drame silencieux de la maladie qui ronde le corps et obsède l’âme » dont parlait Romain Rolland reste bien présent… Que de déchirement, de frustration le pianiste sait-il mettre dans la citation du « Nous n’irons plus au bois », que d’angoisse trouve-t-on dans Nuit blanche–Hallucinations, pièce qui exploite toute l’étendue du clavier, certaines basses abyssales en particulier.

Un témoin nous rapporte qu’au sortir du concert, Nicolas Stavy a vu se diriger vers lui un groupe assez imposant et enthousiaste : des membres de la famille Dupont qui lui ont fait présent… de leur arbre généalogique ! Une marque de gratitude méritée. A quand un enregistrement des Heures dolentes ?

Alain Cochard

Paris, Amphithéâtre Bastille, 26 avril 2014
 
 
Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur Gabriel Dupont, le site très documenté des Amis de Gabriel Dupont : sites.google.com/site/amisgdupont

Photo © Flore

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