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Never Give Up, création du Concerto pour violoncelle et orchestre de Fazil Say - tout un monde douloureux - compte-rendu

camille thomas

Le titre lui va bien, il procède de sa plus profonde nature, celle qui lui dicte de se battre encore et encore. On sait le talent de Fazil Say (photo ci-dessous), qui fait de lui l’un des plus étonnants pianistes de sa génération, on sait aussi son inépuisable énergie pour affronter les coups du sort. Une personnalité hors normes, qui continue de lutter pour la survie de l’humanisme dans son splendide pays, la Turquie. Ses armes, ce sont ses dix doigts, magiques, cette sensibilité sidérante dont il partage les couleurs, les formes inédites avec un public souvent fasciné, même si certains trouvent à redire à la rigueur de ses interprétations, cette gestique enfin, qui fait surgir les sons d’un orchestre de ses seules mains.

Never give up, « ne jamais renoncer », voilà donc, créée par l’Orchestre de Chambre de Paris et son sémillant chef Douglas Boyd, une nouvelle pièce en forme de concerto que le pianiste ajoute à la longue série de ses œuvres. Cette fois, il l’a confiée au violoncelle, en l’occurrence celui d’une des plus brillantes solistes de sa génération, la franco-belge Camille Thomas (photo ci-dessus). Le concerto, de 25 minutes, s’inscrit bien dans ce qu’on connaît du compositeur-interprète, par le caractère lancinant de la longue mélopée orientale, qui situe l’œuvre dans un espace sonore évoquant irrésistiblement les horizons anatoliens, et les douleurs qui s’y révèlent. Le violoncelle, confiné à une sonorité un peu floue, se déploie d’abord en solitaire, puis développe de longs appels, des déchirures, avant que l’orchestre ne se lance dans une sorte de piétinement auquel des tambourins viennent ajouter une note acide et fluette. On suit avec intérêt ce voyage sonore dans les profondeurs d’une quête philosophique autant que musicale. Camille Thomas, ici maniant son archet d’une manière inhabituelle qui amenuise sa sonorité, joue le jeu avec une ferveur touchante.

 

Fazil Say

Fazil Say. © Marco Borggreve

Auparavant, bonheur pur avec le Concerto n°3 de Beethoven, opus 37, que Fazil Say menait tambour battant, y ajoutant ses cadences étincelantes où ne manquait pas de se glisser un soupçon de style jazzy, qui sans trahir Beethoven, signait sa liberté. De petites erreurs par moments mais un élan irrésistible, et le charme de cette musique vécue avec une telle vérité de l’instant par l’interprète, qu’on en est toujours enthousiasmé.

Pour finir, la Symphonie n°86 de Haydn, le meilleur nettoyant orchestral qui soit ! Boyd fait ce qu’il peut pour entraîner l’Orchestre de Chambre de Paris dans sa passion tonifiante et faire chanter cette musique si merveilleusement écrite. Reste que bien des failles dans les vents notamment, et un manque de velouté dans les cordes ne lui rendent pas la vie facile.

Jacqueline Thuilleux

Paris, Théâtre des Champs Elysées, 3 avril 2018

Photo de Camille Thomas © Uwe Arens

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