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Musique et Jeune Public (15) – Peter Pan en création à l’Opéra de Nice : un opéra trans-média

Le quartier Saint Roch à Nice n’est pas connu des touristes qui arpentent la Promenade des Anglais ou fréquentent le Cours Saleya.  Un quartier très populaire, éloigné du bord de mer, où se côtoient anciens niçois et nouveaux arrivants. C’est là qu’habitent les « Enfants perdus » et les « pirates » de la production de l’opéra "trans-média" Peter Pan, un ouvrage composé par Sergio Monterisi qui sera donné le 11 février prochain à l’Opéra de Nice, dans une mise en scène de Magali Thomas.
Sergio Monterisi ©sergiomonterisi.it

Est-il besoin de rappeler les grandes lignes du roman de l’Ecossais James Matthew Barrie (1860-1937) qui met en scène Peter Pan, personnage qui se refuse à devenir adulte et vit au Pays Imaginaire, refuge des Enfants perdus, de Lily la Tigresse, des pirates menés par le terrible Capitaine Crochet, et de la fée Clochette, et que viennent visiter les enfants Darling : Wendy, John et Michael. La liberté, le rêve, le courage face à l’adversité sont pertinents pour Magali Thomas et son complice, le chef d’orchestre et compositeur italien Sergio Monterisi, les deux chevilles ouvrières d’un grand projet qui associe des professionnels du spectacle vivant à des amateurs issus de quartiers dits « sensibles ».
 
Quand la science rencontre le spectacle vivant
A Nice, l’aventure  a commencé par … la science ! C’est en effet par le biais du programme MEDITES, initié par l’Université de Nice Sophia Antipolis, un projet « de structuration et d'innovation territoriales pour le développement de la culture scientifique technique et pour l'égalité des chances », et plus particulièrement grâce au professeur Thierry Pitarque, disparu en septembre dernier, qui assurait une formation à la création de jeux vidéos, que l’univers de la science a rencontré celui du spectacle vivant.

Magali Thomas © DR

Au Collège Jean Giono, Valérie et Christophe Chabot, deux professeurs de SVT, sont très engagés dans ce qui peut valoriser leurs élèves, souvent mis en échec par le système scolaire traditionnel. Et lorsque se présente la possibilité de les faire participer à un projet d’opéra dont le décor sera en 3D et le résultat présenté sur une scène aussi prestigieuse que celle de l’Opéra de Nice, ils n’hésitent pas une seconde. Il faut dire que les deux « moteurs » de l’entreprise, Magali Thomas et Sergio Monterisi, sont convaincants : ensemble, ils ont fondé El Sistema-France Opéra Méditerrannée, appuyé sur les mêmes principes d’intégration sociale par la musique que la structure d’origine mais première branche du Sistema dédiée à l’opéra : « Nous avons été fascinés bien sûr par la personnalité du fondateur d’El Sistema, José Antonio Abreu et par la dimension sociale de son projet. El Sistema a surtout créé des orchestres, nous, nous produisons des chanteurs ! Et comme nom, ça sonne mieux que les « Enfants perdus », non, lance Magali Thomas ?! » 
 
Impliquer les enfants dans la création artistique
Pour Sergio Monterisi, l’engagement auprès des jeunes éloignés de la culture est une nécessité : « L’important, c’est de reconstruire le public en faisant connaître l’opéra dès l’enfance. Notre pari est aussi de créer des gens conscients de ce qu’ils font ; l’opéra est quelque chose qu’on peut construire ensemble. Ce n’est pas la même chose d’inviter une classe à un spectacle et d’impliquer des enfants dans une production, de les plonger dans la création artistique. Nous leur montrons qu’ils peuvent le faire, s’ils travaillent, s’ils s’impliquent.»
Et pour tous les deux, cette culture pratiquée dans l’exigence et au contact de professionnels a des conséquences sociales et humaines visibles : tout le monde en témoigne, les enseignants comme les familles, depuis la mise en route projet il y a un an, les enfants ont beaucoup changé, gagné en confiance, en maîtrise et prouvé de quoi ils sont capables lorsque l’on croit en eux.

© M. N. Archambault
 
Des progrès spectaculaires en l'espace d'un an

Résumer l’activité de Magali Thomas tient du défi car cette enfant du pays cannois est à la fois chanteuse, traductrice, metteur en scène, professeur de chant, après être passée par le conservatoire en piano, par le théâtre d’Ariane Mnouchkine, avoir créé sa propre compagnie théâtrale, sans que la musique ne soit jamais éloignée. « C’est la fée Clochette, elle peut faire des miracles », dit d’elle en souriant l’une des solistes. Quelle énergie déploie-t-elle sur la scène de la Maison des Etudiants à Nice, qui accueille quelques unes des répétitions : elle cale les derniers effets numériques des décors virtuels imaginés par Machina-Films, une structure fondée par Dominique Graziani et Loring Charpentier et implantée à Nice depuis 2017  – tâche délicate : « l’image doit coller à la fraction de seconde près à la musique ! » –, fait répéter les deux rôles principaux, Peter Pan et Wendy, confiés respectivement à la mezzo Pauline Descamps-Triquet et à la soprano italienne Cristina Giannelli, tout en donnant son avis sur les costumes (signés Corinne Crousaud) ; elle accueille enfin la troupe des soixante « gosses » qu’elle fait travailler cinq heures par semaine dans leurs établissements respectifs, le Collège Jean Giono et l’Ecole Primaire Saint Roch 2.
Pauline Descamps-Triquet interprète de Peter Pan © DR

Et le résultat impressionne lorsque l’on sait qu’il y a encore un an, ces enfants ne chantaient pas ! Maintenant, ils donnent de la voix, mais aussi dansent, jouent la comédie, occupent l’espace de la scène avec naturel ! Magali Thomas aime passionnément les diriger : « Ma mise en scène part d’eux, de leur nature. A l’opéra, on travaille avec les émotions, et ainsi, ils apprennent à se poser, à s’exprimer et à vivre ensemble ». Elle connaît l’histoire de chacun de ces enfants, des situations pas toujours simples, et a su donner aux plus fragiles d’entre eux un rôle qui les fortifie. Martin et Louna, les interprètes de Michael et John Darling, ont respectivement 12 et 11 ans. Cela fait trois ans qu’ils travaillent avec Magali, rencontrée à Cannes, où une première version, plus courte, de Peter Pan a déjà été montée : « Je me suis prise au jeu, raconte Louna avec un grand sourire, l’opéra, c’est une façon de chanter particulière, avec des vocalises. Grâce à la mise en scène, c’est mieux. Le chant normal, ce n’est pas travaillé. Ce qui m’a plu, c’est de beaucoup travailler pour arriver à un résultat ».
 
Un orchestre venu de Lisbonne

Sergio Monterisi a déjà écrit pour les enfants un opéra inspiré du Géant égoïste d’Oscar Wilde et connaît bien leurs tessitures, leurs moyens vocaux : « Nous n’avons pas hérité d’une maîtrise mais d’un groupe d’enfants avec lesquels nous avons pris le temps de travailler. Le groupe est assez hétérogène dans son rapport à la voix. Dans certaines familles, on a perdu l’habitude de chanter. Mais pour d’autres, la tradition s’est maintenue de pousser la voix, et on utilise ce potentiel. L’écriture est donc assez articulée, syllabique, avec peu de lignes legato, et des parties très rythmées. En tant qu’orchestrateur, je respecte  l’équilibre et fais en sorte de ne jamais couvrir les voix par l’orchestre ». Celui-ci est constitué de quarante jeunes musiciens, âgés de 15 à 22, issus des quartiers de Lisbonne et membres l’Orquestra Geração-Sistema Portugal, fondé il y a dix ans par Antonio Diniz. Ils arriveront trois jours seulement avant la représentation mais ont déjà répété avec Sergio Monterisi, qui multiplie les aller-retour entre Lisbonne et Nice.

© M. N. Archambault
 
Un personnage paradoxal

La belle diction de Pauline Descamps-Triquet rend compte avec bonheur du personnage complexe de Peter Pan : « C’est un rôle difficile car la musique oscille en permanence entre la comédie musicale de type londonien et des passages très lyriques. Peter Pan est un personnage paradoxal, aux multiples facettes. Il a des aspects enfantins, d’autres très mûrs et Magali tient à ce que j’exprime ces contradictions tout en conservant la brillance du personnage ». Un grand écart pour une jeune artiste qui, parallèlement aux répétitions de Peter Pan, prend part aux chœurs dans la Turandot représentée à l’Opéra de Toulon. « C’est excellent pour la technique, mais il faut du temps pour se remettre dans le rôle ! ». La mezzo trouve important de participer à ce genre de projet : « C’est comme cela qu’on arrivera à faire grandir ce monde », sourit une jeune artiste qui, comme toute l’équipe, donne beaucoup d’elle-même. L’enjeu est de taille : convaincre que l’on peut arriver, avec peu de moyens mais beaucoup d’engagement et de conviction, à produire un spectacle de qualité qui intègre petits et grands, amateurs et professionnels, et permet à un nouveau public de découvrir un univers magique, celui de l’opéra !

Et même si toute leur énergie est actuellement concentrée sur les derniers réglages de Peter Pan, Magali et Sergio ont beaucoup de rêves en tête : une œuvre autour du patrimoine de la négritude, une classe opéra au collège et surtout de nouvelles formes opératiques, moins coûteuses, plus actuelles. On leur fait confiance !

Dominique Boutel

S. Monterisi : Peter Pan, l’enfant qui ne voulait pas grandir (création)
Opéra de Nice, 11 février 2019, 20h
operapeterpan.com/

Photo © M. N. Archambault
 

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