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Mikko Franck dirige Tristan et Isolde à Pleyel - Violence et passion

A l'écoute de ce Tristan dirigé avec l'autorité et la sûreté des plus avertis par le finlandais Mikko Franck(photo) - qui remplace Myung Whun Chung -, deux mots se détachent : violence et passion. Nue, en l'absence d'images et de théâtre, la partition se montre au concert, encore plus aiguë, troublante et douloureuse, attisée comme elle l'est par un chef au discours conquérant, qui sait souffler sur les braises pour les ranimer, ou maintenir actives les flammes d'un invisible brasier. Sur le plateau l'orchestre-roi concentre donc toutes les attentions, dévoile avec une impudeur exacerbée le miracle d'une écriture savante qui plonge l'auditeur dans un bain musical envoûtant, où la violence fait naître la passion et ou la passion conduit à la mort. Entre ces deux pôles paroxystiques, la direction de Mikko Franck à la tête d'un Philharmonique de Radio France en grande forme, garde son cap, à la fois orageuse et vaporeuse, volcanique et pudique, réservant quelques moments chambristes d'une élégance infinie.

Très attendue dans le rôle qui lui vaut depuis bientôt dix ans son statut de star internationale, Nina Stemme impressionne par l'ampleur et la conduite infaillible d’une voix aux graves moelleux et à l'aigu insolent (ses ut du second acte ont l'éclat et la projection de l'acier), portée par un souffle que l'on dirait inépuisable. Sans posséder la complexité psychologique et l'urgence névrotique d'une Waltraud Meier qui, comme Martha Mödl avant elle, défend une vision plus à vif et plus tourmentée, Stemme impose une héroïne d'une stature et d'un rayonnement incomparables, emportée sans être dévastée par un déferlement émotionnel, confiante et radieuse jusque dans le renoncement final conclu par un immatériel « Mild und Leise ». Stylistiquement irréprochable, sa performance est d’autant plus admirable qu'elle ne trahit jamais le moindre effort, la soprano donnant le sentiment de chanter ce rôle comme s'il ne posait aucune difficulté. Après Elisabeth à la Bastille et Brünnhilde au TCE la saison dernière, l’artiste suédoise confirme, si besoin en était, son incontestable suprématie wagnérienne.

Christian Franz laisse tout d'abord perplexe par l'absence de timbre, le legato hachuré et l’interprétation sommaire de son Tristan. Pourtant le ténor se révèle au II, usant à bon escient de ses aigus métalliques, caressant la ligne et sachant unir sa voix à celle de sa partenaire tout au long du duo d'amour. Au troisième acte enfin, le chanteur ne craint pas de mouiller sa chemise pour venir à bout de son agonie-marathon, qui le voit se transformer sous nos yeux en supplicié, héroïque et touchant. Detlef Roth chante admirablement Kurwenal tout comme Peter Rose le Roi Marc, qu'il pare d'une désarmante humanité, tandis que Sarah Connolly campe une très digne Brangäne, dont le timbre épicé se distingue de celui de sa maîtresse. Une soirée qui fera date.

François Lesueur

Wagner : Tristan et Isolde (version de concert) – Paris, Salle Pleyel, 13 octobre 2012

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Photo : Heikki Tuuli
 

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