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Michel Alabau à Saint-Séverin - Noëls au balcon (orgue)

Depuis l'inauguration en 2011 de l'orgue relevé de Saint-Séverin, l'association Plein-Jeu propose chaque année une saison variée faisant appel à des maîtres reconnus – dont les quatre titulaires actuels – ainsi qu'à de jeunes musiciens, en cours d'études aux CRR et CNSM de Paris, lors des auditions du samedi à 17 heures ou de concerts partagés en soirée. Dédiée à Michel Chapuis (1) , qui fut titulaire (1964-1994) de l'instrument reconstruit sous sa gouverne, la saison 2017-2018 s'est ouverte sur un programme Bach de Benjamin Righetti (20 octobre) puis un récital de Guillaume Nussbaum (24 novembre), nouveau cotitulaire des lieux à la suite de Michel Alabau, qui en 1988 avait pris la suite de Jean Boyer. Trois auditions ont déjà eu lieu (premier samedi du mois), cinq autres suivront entre janvier et juin.
 
Michel Alabau était aux claviers de Saint-Séverin ce 15 décembre : Noëls au balcon, au sens de tribune – il faisait bien trop frisquet dans l'église pour que l'on puisse songer au dicton, également pour le musicien : l'organiste est sans doute le seul musicien (avec peut-être les carillonneurs) à se trouver aussi drastiquement exposé aux aléas des saisons. Le programme était non seulement centré sur la joie intimiste de Noël mais rayonnait aussi depuis cette croisée des chemins revendiquée par l'orgue reconstruit en 1964 par Alfred Kern de sorte que l'on puisse y jouer tant les classiques français que Bach – le programme se trouvant complété, façon « goûts réunis », d'un bel Italien acclimaté.
 
Grandeur du chœur d'anches avec cornets et poésie des jeux doux ouvrirent la soirée : Noël suisse et Noël sur les flûtes de Louis-Claude Daquin, de son Livre unique publié en 1757, l'un et l'autre sur des tempos merveilleusement allants mais par bonheur nullement pressés (bien assez pour faire valoir la virtuosité des doubles et diminutions), ponctués de cadences finales élargies avec pédale – des tempos permettant de déployer ces contrechants à la fois mélodiques et rythmiques de main gauche, dans le Noël suisse, qui bien souvent sont escamotés. Si Daquin prévoit que la plupart de ses douze noëls puissent « s'exécuter sur les Violons, Flûtes, Hautbois, etc. », les époques anciennes s'accordant infiniment plus de libertés et de souplesse que la nôtre, alors l'inverse se doit d'aller de soi. S'ensuivit donc le huitième Concerto grosso de l'Opus 6 (recueil des années 1680, publié en 1714) d'Arcangelo Corelli, dit « pour la nuit de Noël » et transcrit avec faconde par l'interprète. La transposition fonctionne à merveille, la palette de l'orgue accompagnant par les timbres le renouvellement constant du texte – jusqu'à suggérer une savoureuse zampogna (de la famille des cornemuses et toujours bien vivante en Italie) dans la Pastorale de conclusion.
 
Deux Noëls de Michel Corrette (vers 1740) vinrent témoigner du basculement que connut au XVIIIe siècle la musique d'orgue française : Je me suis levé, sur des fonds variés évoquant un ensemble instrumental presque d'esprit galant, richement contrasté ; Vous qui désirez sans fin, semblant (de prime abord) regarder davantage en direction de la tradition classique – l'un et l'autre d'une roborative poésie.
 
De Bach, en lien avec l'Italie, s'imposait la redoutable (gigue finale) Pastorale en quatre mouvements, lumineuse à Saint-Séverin sur quelques registres choisis, précédée d'un très étonnant Prélude en ut majeur BWV 547 (sans la Fugue), lui-même dit « de Noël ». Nul doute que Michel Alabau jouerait ce grand diptyque de maturité en son entier très différemment que ce qu'il proposa pour le seul Prélude, pensé telle une mise en condition, aux teintes douces et chaleureuses de la Nativité, en préambule à la Pastorale, pour ainsi dire redimensionnée en cinq mouvements – belle idée à retenir. Pas de grand plein-jeu avec anches de pédale, mais des fonds aérés, denses et parlant clair, autorisant un tempo plus enlevé que ce n'est autrement le cas, pour une articulation vive et franchement détachée, rehaussée d'ornements placés à bon escient, notamment autour des accords interrogatifs et suspendus de la fausse cadence précédant la coda.
 
Deux autres Noëls refermaient ce programme de saison. Tout d'abord Où s'en vont ces gays bergers de Claude Balbastre (Livre de 1770), scintillant et joyeux, auquel on pouvait mentalement ajouter, autre passerelle, cette fois de l'Allemagne vers la France, le tintement des clochettes d'une Zimbelstern baroque. Puis le Noël bourguignon (« J'entends par notre rue », 1948) de Jean Bouvard (1905-1996), grand-père de Michel Bouvard, ce dernier ayant lui-même été titulaire (1982-1995) à Saint-Séverin, grande famille aux ramifications nombreuses et profondément enracinées. Bien que prolongeant la tradition classique, l'œuvre, superbement développée et plus grave que les Noëls du XVIIIe siècle destinés autant aux salons qu'à l'église, relève d'un autre monde (on pense au Litaize de l'entre-deux-guerres, celui des Douze Pièces de 1929-1938), jusqu'à faire sonner l'orgue comme s'il relevait d'une esthétique (mais aboutie) quasi néoclassique !
 
En bis, Michel Alabau gratifia le public, dont les applaudissements nourris lui permettaient de se réchauffer, d'une improvisation sur Venez, divin messie, la mélodie se trouvant bientôt entonnée, dans le lointain puis en pleine lumière, par une zampogna autre et plus vraie que nature : une bombarde soprano, authentiquement bretonne, jouée par Véronique Le Guen, titulaire à Saint-Séverin depuis 2013. Magie des timbres et de leur déploiement dans l'espace au service d'une tradition bien vivante.
 
La saison reprendra au printemps avec un concert, le 23 mars, de la série « Jeunes talents et leurs aînés » : Paul Goussot (Dom Bédos–Quoirin de Sainte-Croix de Bordeaux) et Benjamin Pras (Grand Prix Jean-Louis Florentz 2013, Angers). Leo van Doeselaar, organiste (au Concertgebouw d'Amsterdam) et pianiste néerlandais, professeur à l'Université des Arts de Berlin, sera l'hôte de marque de la tribune du Quartier latin le 20 avril, après quoi les quatre titulaires seront réunis pour le concert du dimanche 3 juin : François Espinasse, Véronique Le Guen, Christophe Mantoux, Guillaume Nussbaum – avant la Fête de la Musique du 21 juin. Un vibrant hommage, dont la forme reste à préciser : sans doute une riche soirée avec de multiples intervenants, devrait être rendu, après la pause estivale, à Michel Chapuis.
 
Michel Roubinet

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(1) Lire l’hommage à Michel Chapuis : www.concertclassic.com/article/hommage-michel-chapuis-1930-2017-pionnier-de-la-musique-ancienne-et-tellement-plus
 
Paris, église Saint-Séverin, vendredi 15 décembre 2017
 
 
Sites Internet
 
Plein-Jeu à Saint-Séverin
saint-severin.com/meet-the-team-2/
 
Concerts du printemps 2018
saint-severin.com/wp-content/uploads/2017/12/Printemps-2018.pdf
 
 
Photo © DR

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