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Mesdames de la Halle d’Offenbach à Lyon - Palettes et cageots - Compte-rendu

La belle idée de tirer des cartons cette piquante fantaisie d’Offenbach ! On avait bien oublié Mesdames de la Halle, pénultième ouvrage conformé au bref format qu’autorisait alors la préfecture de Paris pour les pièces montées aux Bouffes : un acte s’il vous plait, pas plus. Nous sommes en 1858, Offenbach donnera également cette année là une autre partition brève, La Chatte métamorphosée en femme, tout aussi fantaisiste mais avec un côté légèrement fantasque que Mesdames de la Halle, prétexte à une intrigue amoureuse limitée au flirt mais dénouée par un savoureuse scène de quadruple reconnaissance en maternité - et paternité ! -évite soigneusement.

L’argument d’Armand Lapointe ne pouvait que charmer Offenbach, d’une part par cette scène pillée joyeusement au Mariage de Figaro - Offenbach avait d’ailleurs écrit en 1852 une musique de scène pour la reprise de la pièce de Beaumarchais par la Comédie-Française – d’autre part car elle situait l’action en un lieu qu’il aimait fréquenter à la sortie des théâtres, ces Halles où la vie ne s’arrêtait jamais.

Fidèle à l’usage en cours dans les pochades populaires depuis l’époque des Tréteaux de la Foire Saint-Germain, Offenbach écrit la plupart des rôles pour des travestis : les hallières sont des hommes et le bon Jacques ne cherche pas à masquer leur vrai statut en les faisant chanter en fausset. On se doute bien que cette spécificité aura charmé Jean Lacornerie (il signe là sa première mise en scène au Théâtre de la Croix Rousse depuis qu’il en a pris la direction), qui fonce, tête baissée mais esprit en alerte, dans ce que ce comique d’état suffit à déclencher.

Merveille, pas une once de vulgarité ! Tout est vif, mené grand train par un couple de comédiens admirable à l’humour désopilant, Sophie Lenoir et Jacques Verzier, possédant l’un et l’autre des corps de danseur mais aussi de jolis gosiers. Jean Lacornerie les fait chanter dans un prologue à l’ouvrage d’Offenbach artistement composé d’une présentation des Halles émaillée de quelques chansons réalistes signées Zola, Boutet, Ducamp, dont l’impayable et sinistre «  Tu payes un bock », Tout l’esprit d’une époque y renaît, entre complainte de prostituée et comique troupier. Cet habillage plante le décor naturaliste, et montre la réalité sociale du monde des Halles, préparant en musique à la pièce d’Offenbach.

L’œuvre est emmenée sur un tempo parfait : Jean-Paul Fouchécourt et les musiciens du CNSMD de Lyon la jouent exactement comme il le faut, comme du Mozart, précision horlogère des rythmes, poésie des bois qui font merveille dès qu’un peu d’espace leur est accordé. On sent bien qu’Offenbach est en train de basculer vers l’opéra, que son langage évolue vers un style plus libre ; d’ailleurs le compositeur donnera plus tard la même année son premier opéra bouffon en deux actes, Orphée aux Enfers.

Distribution impeccable, très finement menée, dominée par la belle Ciboulette de Jeanne Croussaud dont l’air est assez virtuose, et qui donne l’occasion d’entendre les solistes du Nouveau Studio de l’Opéra de Lyon., joli vivier dans lequel Serge Dorny se sert volontiers. Décor habile, tout en palettes et en cageots, qui englobe également l’orchestre en scène, jamais tonitruant, parfaitement réglé par Jean-Paul Fouchécourt, décidément très à l’aise la baguette à la main.

Bien entendu et comme le veut la tradition, le final sera bissé, occasion de revoir encore les impayables costumes fruits et légumes, qui nous ont tant fait sourire : on aime tout particulièrement l’ensemble en deux pièces tout poireaux de Mme Sophie Lenoir. Mais avant ce délicieux retour, Jean Lacornerie fait parler la mémoire en projetant quelques témoignages des hallières filmés juste avant la destructions des pavillons. L’émotion affleure soudain derrière le divertissement, rappelant un monde disparu.

Jean-Charles Hoffelé

Offenbach : Mesdames de la Halle
Lyon, Théâtre de la Croix Rousse, 11 mai 2012

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Photo : Jaime Roque de la Cruz
 

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