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Médée de Cherubini au TCE - Médée Winehouse - Compte-rendu

Les semaines se suivent et se ressemblent décidément à Paris où la première de Médée au TCE a connu un sort similaire à la Carmen présentée à la Bastille : huées, applaudissements, invectives, bordées d'injures, interruption de la représentation puis reprise après l’intervention d'un chanteur, ont mis le feu au spectacle dérangeant, mais passionnant de Krzysztof Warlikowski.

Enfant terrible de la scène contemporaine, le Polonais, adepte des relectures modernes et provocatrices, où se mêlent cinéma, psychanalyse, sexe et religion, n'en est pas à son premier essai. Sœur de Lulu, d'Iphigénie en Tauride, d'Emilia Marty (L'affaire Makropoulos), ou de Blanche Dubois (Un tramway nommé désir), le mythe de Médée lui sert de prétexte à une savante transposition dont certaines images ont une force visuelle et expressive splendide, mais dont les choix se heurtent parfois à la dramaturgie initiale au point d'en compliquer la compréhension.

On retrouve comme toujours d'opulents décors où se jouent les transparences (baies vitrées) et où se mélangent les matières (chemin de sable et armatures métalliques) sur lesquelles des vidéos sont projetées, éléments maintes fois utilisés par Warlikowski qu'il s'agisse du Roi Roger, de Parsifal (Bastille), ou d'Un tramway (Odéon). Sa Médée relookée à la manière d'Amy Winehouse, étrangère effrayante et détestée, tient ses promesses, malgré des fantasmes réducteurs qui l'enlaidissent (quel besoin de la faire évoluer en nuisette, affublée d'affreuses perruques et de la contraindre à ramper par terre une bonne partie du spectacle ?) et une aire de jeu limitée à une commode et à une lande de sable blanc. A l'image d'Isabelle Huppert dans la pièce de Tennessee Williams, en nuisette elle aussi, assise sur un méchant siège en fer, Médée doit s'abaisser, s'humilier devant Créon qui, pour accepter sa présence, la fait violer par ses sbires. Jason en dreadlocks, la cour qui défile comme sur un podium, les enfants qui n'acceptent pas le remariage de leur père et la nourrice très femme d'intérieur qui chante sa fidélité à Médée en arrangeant des fleurs dans un vase, tout cela pourrait être anecdotique, si le propos n'était pas renouvelé et n'atteignait pas la puissance escomptée, ce qui n'est pas le cas.

Cette réussite serait impossible sans la présence et l'adéquation d'une artiste aussi singulière que Nadja Michael, déjà remarquée à Bruxelles en 2008 et en 2011. La soprano vit le personnage avec une intensité et une vérité telles, qu'on lui pardonne aisément les quelques problèmes de justesse, d'émission parfois confuse, ou de respirations intempestives qu'elle peut rencontrer dans ce rôle meurtrier. Son tempérament dramatique résiste à tout et l'on reste tendu, rivé à cette interprète qui sait se montrer cruelle, douce, déchirante ou attendrissante et nous surprendre jusqu'au dernier instant où, après son crime, celle-ci range mécaniquement les pyjamas ensanglantés de ses fils et allume une cigarette.

Le Jason de John Tessier est lui aussi formidable, un homme divisé entre lâcheté et remords, préoccupé par la garde de ses enfants, sa future épouse et le retour de son ex-femme, tout comme le Créon défendu avec conviction par Vincent le Texier. Mention spéciale pour la jeune et conquérante Elodie Kimmel, qui vient à bout sans faiblir de la tessiture de Dircé, Varduhi Abrahamyan montrant quelques limites dans le rôle de Néris.

Vingt-six ans après la pesante direction de Pinchas Steinberg à Garnier (dans la mise en scène de Cavani, avec la sculpturale Verrett), Christophe Rousset et ses Talens Lyriques apportent un nouveau souffle et un regard aiguisé sur la musique avant-gardiste de Cherubini. Parfois bousculée, mais articulée avec précision et conduite avec beaucoup de finesse, la partition gagne en couleurs et en vivacité, explosant littéralement pendant l'orage du 3ème acte.

Seul regret de la soirée, ces dialogues parlés, grossièrement réécrits pour coller à la mise en scène. A quand une version fidèle à l'original ?

François Lesueur

Cherubini : Médée – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 10 décembre 2012

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Photo : © Vincent Pontet- WikiSpectacle
 

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