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Marseille - Compte-rendu : Une autre Lucia


Un mois après Les pêcheurs de Perles donnés à Avignon, Patrizia Ciofi retrouvait Lucia di Lammermoor, à Marseille, où elle n'était pas revenue depuis de magnifiques Contes d'Hoffmann en 2004. A Orange l'été dernier, son interprétation très aboutie de l'héroïne donizettienne avait fait sensation et l'on attendait avec impatience ce rendez-vous dans un théâtre à dimension humaine. Dans un état vocal resplendissant, la cantatrice a démontré une fois encore ses profondes affinités avec le personnage de Lucia.

Confiante et ouverte à de nouvelles propositions, elle a même renouvelé son approche et s’est engagée dans des voies nouvelles. Pour le metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia, Lucia n'est pas une créature pathétique, soumise et accablée par le destin, mais une jeune femme enthousiaste, amoureuse et romanesque, dont l'éclat enflamme l'univers à la Daumier dans lequel elle évolue (forêt au fusain, hautes murailles sombres, ou demeure inhabitée). Si le sort s'acharne sur elle, jusqu'à lui faire perdre la raison, c'est toujours en conscience qu'elle va son chemin, rattrapée par la démence sans jamais y avoir été prédestinée.

Ciofi campe ainsi un personnage qui affirme ouvertement son amour et sa foi envers Edgardo, ce qui nous vaut une scène d'entrée moins sépulcrale, mais marquée par un vif rayonnement intérieur ("Quando rapito inestasi"), suivi par un duo plein d'effusion et de sentiments, sur lequel la tragédie ne plane pas lourdement. Face à son frère, criblé de dettes et acculé à se tirer d'affaire au plus vite, Lucia se résigne à un mariage arrangé, convaincue que son refus conduirait Enrico à sa fin, soutenue par les propos rassurants de Raimondo.

A la voix sûre, timbrée et nacrée, la soprano associe la beauté du geste, traduisant d'un regard le trouble ou l'inquiétude et par le corps la tension ou le renoncement (admirable sextuor "Chi mi frena in tal momento"). Sa performance atteint son apogée dans une scène de folie totalement habitée, où elle se joue des difficultés en virtuose belcantiste. Accrochés à ses lèvres, nous accompagnons son délire, pris au col par ses accents de petite fille, ses accès de démence, ses sursauts déchirants, nous rassasiant de ses vocalises échevelées et de ce dialogue irréel avec une flûte lointaine, qui la pousse à des hauteurs vertigineuses sur lesquelles elle finit par se briser : du très grand art.

Salvatore Cordella (Edgardo), dont l'émission haute, l'aigu sonore et métallique évoquent la technique d'Alfredo Kraus, lui donne une réplique convaincante, même si elle se révèle scéniquement plus économe (émouvant final "Tu che a dio spiegasti l'ali"). Loin des habituelles brutes épaisses, cruelles et sans pitié, Fabio Maria Capitanucci compose un Enrico très intéressant, raté et pitoyable malgré les apparences. De son côté Wojtek Smilek semble jouer le rôle de sa vie, conférant à Raimondo une intensité vocale et une profondeur proches de celle d'un Philippe II.

La réussite de cette soirée tient sans nul doute au confort et à la sérénité imposés par le chef Luciano Acocella, garant d'un style et d'une musicalité issus de la plus pure tradition.

François Lesueur

Opéra de Marseille, 18 avril 2007

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Photo : Christian Dresse

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