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Marie Chouinard et Natalia Horecna invitées des Ballets de Monte Carlo – Secousses et frémissements – Compte-rendu

Cy Twombly Somehow
Excellente remise en question que celle que Jean Christophe Maillot propose à ses danseurs des Ballets de Monte Carlo en les mettant périodiquement en d’autres mains que les siennes. Cela leur permet, au lieu de se contenter d’habitudes de fonctionnement qui pourraient devenir des tics, de réaffuter leurs techniques, de reprendre contact avec d’autres modes de pensée que celle de leur maitre habituel, et dans cet effort, de développer leurs réflexes et leur personnalité pour finalement mieux le servir ensuite.
Incontestablement, les axes développés par Marie Chouinard et Natalia Orecna, les chorégraphes féminines invitées par Maillot pour deux créations, ne fonctionnent pas comme lui : la première, dans l’art d’une création plastique à la fois abstraite et terriblement érotique, la seconde dans l’énoncé narratif et tendre d’une histoire qui est surtout un thème politique et philosophique.
Cy Twombly Somehow
Cy Twombly Somehow © Alice Blangero
 
Belles qualités, donc, pour Cy Twombly Somehow, que celles exprimées par les danseurs, et surtout l’astucieuse décomposition des mouvements pour une vision purement graphique, même si la quasi nudité des danseurs (on a enlevé le haut) voudrait nous mettre en contact avec la substance charnelle. Marie Chouinard, dans le monde de la danse contemporaine, s’est taillé une place à part : elle a la véhémence, la crudité, la vigueur sans contraintes de nombre des créateurs de son pays, le Canada, qui ne puise certes par dans l’héritage du vieux monde. Elle ose sans barrières, et Maillot a déjà été sensible à cette force dynamique  qui décompose les corps avec une certaine perversité.
 
Mais la question demeure : a-t-elle vraiment quelque chose à dire ? C’est ce que l’on s’est demandé durant la demi-heure de Cy Twombly Somehow, créé donc pour les superbes anatomies des danseurs monégasques – avec une admiration toute particulière pour la plastique parfaite de Mimoza Koike, donc on connaissait déjà l’élégance et la force dramatique.
Silhouettes chairs, peintures de guerre, perruques rouges, pour offenser le regard par leur violence, et contournements, saccades, secousses, pour composer des tableaux cinétiques et virtuoses où il ne se passe rien, sinon la seule beauté du mouvement, sur un fond musical du montréalais Louis Dufort. Si Chouinard, qui a souvent plus de substance, s’amuse ici à esthétiser sans vrai contenu, du moins le fait-elle bien.
 But behind the bridge
But behind the bridge © Alice Blangero
 
C’est exactement le contraire avec la slovaque Natalia Horecna, moins célèbre mais déjà très estimée. Dans But behind the bridge, elle s’est emparée d’un sujet énorme, intraitable, celui du drame des migrants, réactivé par le cliché qui émut le monde, lorsqu’en 2015, le petit Syrien Aylan Kurdi fut retrouvé mort sur une plage de Bodrum. Sujet qui en contient mille, donc, et sur lequel il eut fallu resserrer autour d’un thème précis. Or Natalia Horecna, ici, n’y est pas parvenue : elle place un personnage conventionnel, le Destin, autre volet de la Mort, face à des groupes peu différenciés, et n’arrive pas à donner à son récit un axe dramatique et surtout compréhensible qui permettrait au spectateur de se laisser porter par cette terrible histoire.
 
Mais incontestablement, la gestique est belle, large, fort classique d’ailleurs, les tableaux parfois saisissants de beauté, comme lorsque les danseurs rament, on sait vers quel destin tragique, sur fond d’énorme soleil ou lune impassibles comme des dévoreurs. Et on ne peut s’empêcher d’admirer l’ambition du propos, en y reconnaissant cette propension des créateurs tchèques pour le drame noir, mais sans le trait qui leur donne généralement une force âpre et sarcastique, et en reprochant à l’ensemble sa structure embrouillée et sa sensibilité un peu gentille.
Là aussi, les danseurs font merveille, et notamment le beau Michaël Grünecker dans le rôle de l’enfant (bien grandi), et le prenant duo du père Francesco Mariottini, et de la mère Anna Blackwell. Mais pourquoi donc, au sein d’un collage qui a le bon goût d’aligner Jimi Hendrix et quelques extraits de Sibelius, se noyer, une fois de plus, dans l’insipide Jesus’Blood never failed me yet de Gavin Bryars et Tom Waits, endormante et mièvre rengaine utilisée à tout bout de champ par les chorégraphes d’aujourd’hui.
 
Jacqueline Thuilleux
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Cy Twombly Somehow (chor. M. Chouinard / mus. L. Dufort) & But behind the bridge (chor. N. Horecna / mus. Sibelius, J.Hendrix, G. Bryars et T. Waits) - Monaco, Grimaldi Forum, 29 avril 2017. Prochaine venue des Ballets de Monte Carlo à l’Opéra Royal de Versailles, les 11 et 12 mai 2017, avec Cendrillon de Jean Christophe Maillot / www.chateauversailles-spectacles.fr/spectacles/2017/les-ballets-de-monte-carlo-cendrillon
 
Photo © Alice Blangero
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