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Maria Stuarda au Théâtre des Champs-Elysées –Ivresse belcantiste – Compte-rendu

Présentée en juin 2015 dans une mise en scène signée Caurier/Leiser (2), Maria Stuarda devait réunir, cette fois en concert grâce aux « Grandes Voix », Joyce DiDonato et Carmen Giannattasio sur la scène du TCE. Souffrante, la mezzo américaine a finalement été remplacée par Patrizia Ciofi (photo) à la satisfaction générale. En pleine répétition de « Viva la Mamma ! », comédie donizettienne qu'elle reprend à Genève, la cantatrice italienne n'a pas hésité à retrouver cette héroïne qu'elle côtoie depuis 2008.
En une décennie l'interprétation a naturellement évolué, même si les fondamentaux étaient déjà présents à Liège (2) : ceux d'une souveraine volontaire et séductrice, contrainte au silence par son implacable cousine Elisabetta et qui n'aspire qu'à la liberté quand son funeste destin semble scellé d’avance. Profitant d'une forme vocale superlative, Ciofi offre une composition d'une épaisseur psychologique et dramatique rares, en constante évolution jusqu'à la décapitation. Pure malgré les accusations qui pèsent sur elle dans son élégiaque air d'entrée « O nube che lieve », déterminée à retrouver son trône « Nella pace del mesto riposo », sa Maria amoureuse invétérée compte sur sa relation avec Leicester pour être sauvée. Impulsive et fière, elle échoue cependant à conserver son calme face à Elisabetta qu'elle insulte devant la cour se croyant intouchable (finale du 1). Recluse et bannie, elle attend alors la mort avec dignité, bouleversante auprès de Talbot avant de se présenter en martyre et de quitter la terre sur de sublimes adieux « Ah se un giorno da queste ritorte ».

Speranza Scappucci © speranzascappucci.com
 
Interprète passionnée, attentive à habiter chaque mot, à donner à chaque ornement une couleur, une nuance et une expression, Ciofi a l'art de condenser musique et émotion et de jouer des mille subtilités de son timbre. Rien dans ce portrait de reine blessée n'est laissé au hasard, du murmure à l'imprécation, de l'espoir à l'abandon, les vocalises s'envolant avec audace et précision comme si ce langage raffiné allait de soi. Aux saluts, sourires et larmes accompagnaient un triomphe personnel amplement mérité. Soprano à l'instrument plantureux, Carmen Giannattasio renouvelle sa belle prestation de 2015 avec une Elisabetta au tempérament enflammé, qui affronte la partition avec une franchise bienvenue. Galvanisé par la présence de ces deux artistes, qui plus est compatriotes, Enea Scala ne fait qu'une bouchée du rôle de Leicester auquel il prête une émission ardente et une ébouriffante vocalité. Résolument plus discret, mais d'une superbe autorité, Nicola Ulivieri associe son noble baryton au personnage de Talbot, tandis que Marc Barrard campe un convaincant Lord Cecil.

Si l'Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne donne des signes de faiblesse dans ses premières interventions, celui-ci s'améliore au cours de la soirée grâce au formidable soutien de Speranza Scappucci, cheffe principale de l’Opéra Royal de Wallonie. Sous sa conduite énergique, l'Orchestre de Chambre de Paris se montre un partenaire de choix dans la puissance comme dans l'élégie, atteignant ce mélange de rigueur et de liberté qui rend la musique de Donizetti, et avec elle tout un pan du répertoire belcantiste, si enivrante.
 
François Lesueur

(1) www.concertclassic.com/article/maria-stuarda-de-donizetti-au-theatre-des-champs-elysees-le-corps-de-mon-ennemie-compte
(2) www.concertclassic.com/article/liege-compte-rendu-maria-stuarda-bouleversante-patrizia-ciofi
 
Donizetti : Maria Stuarda (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs Elysées, 6 décembre 2018

Photo © Jean-Pierre Maurin

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