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Madame Butterfly à Barcelone - Emouvante Cio-Cio San d’Ermonela Jaho - Compte-rendu

Hui He, Ermonela Jaho, Patricia Racette et Amarilli Nizza ont peu de points communs, si ce n'est qu'elles sont toutes quatre sopranos et qu'elles chantent fréquemment le rôle de Madama Butterfly. Comme à son habitude le Grand Théâtre du Liceu a choisi de confronter leurs interprétations à l’occasion de la reprise de l'élégante production de Patrice Caurier et Moshe Leiser, déjà présentée in loco en 2006 et à Londres la saison passée.

Un Japon sobre et épuré signé Christian Fenouillat concentre l’action dans un espace ascétique dédié à Cio-Cio San, retirée comme sur un îlot, uniquement animé par quelques parois de papier coulissantes qui s'ouvrent et se referment aussi vite sur le monde, vécu comme hostile. La presqu'île de Nagasaki au loin, la végétation, un chemin, un jardin en fleurs ou une immense branche de cerisier apparaissent ainsi ponctuellement, pour rappeler que la jeune femme est prisonnière de corps et d'esprit. Les costumes colorés du mariage, rehaussés par de beaux éclairages vifs, sont vite remplacés par de ternes tonalités qui renforcent la tristesse et le dénuement dans lesquels finit par se complaire la pauvre créature.

Artiste sensible et touchante, Ermonela Jaho n'a aucun mal à prendre les traits de l'héroïne dont elle traduit avec une belle acuité la nature délicate. Frêle sous son teint de porcelaine, la cantatrice albanaise est une comédienne d'une grande finesse, fragile papillon prêt à vivre le grand amour, qui s'enferre ensuite avec obstination dans l'illusion de l'improbable retour de celui qui l'a oubliée, avant de se suicider comme son propre père avant elle. Parfaitement accordé à cette lecture fouillée, le portrait vocal de la cantatrice est également riche d'enseignement : malgré l'immensité du plateau, celle-ci possède une musicalité exquise, un sens du drame et une technique exemplaires qui lui permettent de tenir le rôle dans ses extrémités et d'offrir, en plus d'une ligne de chant scrupuleuse à l’émission flûtée, des piani et des filati du meilleur effet. Des débuts plus que prometteurs sur la scène catalane.

Pour sa première Suzuki, Gemma Coma-Alabert fait preuve d'une belle assurance vocale - attention toutefois à certaines notes poitrinées à l'excès - et dramatique ; ce beau timbre de mezzo s’associant parfaitement aux couleurs prodiguées par le rôle-titre, notamment lors du célèbre duo des fleurs, marqué par la délivrance et l'appréhension.

Le lyrisme et la légèreté de Pinkerton échappent sans doute à Jorge de Léon, ténor à la voix large et volumineuse, qui déborde facilement de son cadre, mais que l'on sent attentif aux autres et à la crédibilité de son personnage. Angel Odena campe un honorable Sharpless peut-être un peu trop raide et péremptoire dans sa pensée, tandis que Vicente Ombuena chante avec toute la fourberie nécessaire Goro, que Roberto Accurso passe à côté de son Yamadori, tout comme le bonze Yakusidé, maigre de voix, défendu par Joan Josep Ramos.

Seul point noir de la soirée, l'épouvantable direction de José Miguel Pérez-Sierra, qui brutalise les mélodies, saccage l'harmonie générale et corrompt l'équilibre de cette partition novatrice. L'absence de fluidité du discours, la pauvreté du coloris instrumental et l'incapacité de calquer le phrasé des musiciens sur la courbe du chant finissent par rendre éprouvante l'écoute attentive de ce chef-d'œuvre.

François Lesueur

Puccini : Madama Butterfly – Barcelone – Gran Teatre del Liceu, 23 mars, prochaines représentations les 23, 24, 25, 26, 27 et 29 juillet 2013 – www.liceubarcelona.com

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Photo : Antoni Bofill
 

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