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Luisa Miller de Verdi à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège - Délices belcantistes – Compte-rendu

Sommet de la production « de jeunesse » de Verdi, Luisa Miller (1849, inspiré du drame de Schiller Kabale und Liebe) revient peu à peu sur le devant de la scène, depuis le début des années 80 et les prises de rôle (plus ou moins couronnées de succès) de Renata Scotto, Montserrat Caballé et Katia Ricciarelli. Riche et attachant, l’ouvrage peut dérouter par son mélange de « néo-classicisme » (l’ouverture « alla Haydn », le découpage en numéros des premiers actes) et de romantisme échevelé (l’Acte III, son poison, son orgue, ses duos et trios extatiques).
Elle n’en annonce pas moins la célèbre « trilogie » des années 1851/53, à travers un rôle-titre ambitieux, qui, comme celui de la future Traviata, évolue du bel canto fiorito au spinto, ou une figure paternelle puissante et ambiguë (celle de Miller, déjà proche de Rigoletto). Si l’on ajoute que la partition recèle l’une des plus belles romances pour ténor de Verdi (« Quando le sere al placido », dont la cabalette compose le Finale II), de sinistres pages pour les deux méchantes basses (le « père abusif » Walter, opposé au bon père Miller, et l’horrible sbire Wurm), un divin duo mezzo/ténor et des ensembles tétanisants, on conviendra que seule l’absence de l’élément patriotique a empêché cet opéra de devenir l’un des plus goûtés de son auteur.  Encore faut-il disposer de la distribution ad hoc – et avouons que celle réunie par Stefano Mazzonis di Pralafera, le directeur de l’Opéra de Liège, avait tout pour allécher !
 
Elle tient en grande partie ses promesses, même si elle tire l’œuvre vers l’esthétique purement belcantiste, à laquelle celle-ci ne se rattache que partiellement. Ainsi, le Miller follement élégant, bien chantant, bien disant et caressant du baryton Nicola Alaimo possède-t-il une voix un peu trop claire et trop peu incisive pour le répertoire verdien – nous continuons à le préférer dans celui de la fin du XVIIIe et du premier Ottocento, où il excelle. Il en va de même, comme attendu, pour Patrizia Ciofi, souvent bouleversante, grâce au sfumato de son timbre et à son phrasé éperdu, mais mise à mal par la tessiture centrale de son rôle, surtout dans sa grande scène de l’Acte II, où le médium s’assourdit. Reste que l’ineffable duo que nous offrent ces deux chanteurs à l’Acte III nous a tiré des larmes…
 
Troisième joyau de la distribution, le ténor Gregory Kunde surprend ceux qui (comme nous) ne l’avaient pas entendu depuis longtemps par une voix désormais parfaitement centrée, à la projection, à la lumière et au métal insolents, rappelant parfois ceux d’Alfredo Kraus. Les couleurs ne sont ni très variées, ni très italiennes et il s’abstient prudemment de reprendre sa cabalette (toutes les autres reprises sont conservées) mais, à soixante ans, il reste un Rodolfo des plus juvéniles. Si Christine Melis campe une Federica de bonne tenue et Bàlint Szabo un Wurm idéalement sadique, la déception vient de la basse Luciano Montanaro, dont la voix enrouée ne rend guère justice au Comte Walter - rôle d’ailleurs généralement fort mal distribué, alors qu’il réclamerait un interprète de la classe du jeune Ramey.
 
La direction musicale de Massimo Zanetti, sèche, coupante, presque toujours trop rapide, si elle met bien en valeur certains détails orchestraux semble refuser de s’abandonner à l’émotion que dégage l’œuvre. Pareillement, la mise en scène assez littérale de Jean-Claude Fall (créée à Montpellier en 2000, déjà reprise à Liège en 2005) n’apporte guère de supplément d’âme à l’action, qu’elle transpose, sans nécessité particulière, dans l’Italie préfasciste. Notons tout de même la puissance d’évocation du dispositif, tout simple, représentant le castel du comte : il suffit aux vérins soutenant le bucolique premier tableau de se soulever, révélant, au sens propre, le noirâtre envers du décor, percé de deux sinistres meurtrières. Admettons aussi le professionnalisme avec lequel sont menés les cruciaux finales - cette direction d’acteurs convenue mais parfaitement discrète nous laissant le loisir de nous abandonner aux purs délices du bel canto verdien …

Olivier Rouvière
 
Verdi : Luisa Miller – Liège, Théâtre Royal, 26 novembre, prochaines représentations les 2, 4 et 7 décembre 2014.
www.operaliege.be/fr/activites/operas/luisa-miller
 
Live Web le 4 décembre : www.operaliege.be/fr/activities/web-tv
 

Photo @ Opéra Royal de Wallonie-Liège

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