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L’Or du Rhin au Grand Théâtre de Genève - Retour aux sources et lisibilité - Compte-rendu

Venant après une longue suite de productions (dont la plus belle, dans la période récente, reste sans doute celle de David McVicar à Strasbourg), ce Ring monté par le tandem Dieter Dorn-Jürgen Rose choisit clairement le retour aux sources plutôt qu'une énième spéculation interprétative. Plateau nu, un simple rideau flottant figure le flux du Rhin tandis que les Dieux sortent quelques instants plus tard d'une vulgaire tente, masqués comme au théâtre antique. Rien qui ne soit fidèle au livret dans cette lecture archi-lisible. Seules les photos d'archives de guerres récentes, projetées en ouverture de rideau, font référence au monde d'aujourd'hui. Ridiculisés, leur forteresse se réduisant à un simple dessin, les Dieux font pâle figure ; choix qui augure d'une lecture volontiers humaniste moquant les vaines luttes pour la domination du monde.

Mais la plus belle idée du metteur en scène, c'est précisément de cacher son jeu. La magie opère d'autant mieux qu'on ne voit pas d'où elle surgit. Le heaume d'Alberich est véritablement magique et le fait disparaître au beau milieu de la scène d'une simple extinction des feux, avant qu'il ne renaisse, floué, en crapaud, ou en dragon volant digne d'un conte pour enfants. Utilisant aussi bien la profondeur de la scène pour faire enter les Dieux que les trappes pour faire surgir le monde souterrain du Nibelheim - un des plus beaux moments de ce Rheingold -, Dorn et Rose allient le minimalisme à un savoir-faire qui leur permet d’utiliser tout le potentiel de la scène.

C'est on ne peut plus intelligent. Fidèles au mythe par la magie, ils n'en oublient pas pour autant la dimension théâtrale, particulièrement présente dans L’Or du Rhin, davantage centré sur l'action et la comédie que le reste de la Tétralogie.

Bon chanteur et excellent comédien, Corby Welch campe un Loge asexué et opportuniste, faisant le lien entre les différents mondes et personnages. On peut simplement regretter un décor un peu trop prosaïque, très arte povera, quand il s'agit de faire surgir les filles du Rhin de vulgaires cubes asymétriques (en guise de rochers ?), ou s'envoler les Dieux en ballon noir devant un malheureux rideau arc-en-ciel pour figurer le Walhalla, que la pauvreté des lumières de Tobias Löffler, sans nuance ni effet d'ombre, ne parvient jamais à mettre en valeur.

La parfaite cohésion entre scène et fosse constitue l’autre point fort de ce début de Ring. Si l'Orchestre de la Suisse Romande - notamment les cuivres - était encore en rodage lors du prélude le soir de la première, la direction d'Ingo Metzmacher s’accorde à la lisibilité de la mise en scène, privilégiant la narration sur la méditation. Alerte, foisonnant, il soutient magnifiquement une distribution très homogène. John Lundgren impressionne d'entrée de jeu en Alberich et convoque une large palette expressive, tout comme le Wotan de Tom Fox, convaincant, subtil, tour à tour autoritaire et vulnérable. La mezzo russe Elena Zhidkova est superlative en Fricka, plus humaine et nuancée qu'à l'accoutumée, tandis que la Freia d'Agneta Eichenholz lui offre le tempérament de feu auquel répondre. Gosiers sans faille aussi pour le Donner riche et chantant de Thomas Oliemans, le Fafner solide de Steven Humes, ou le Mime impeccable d'Andreas Conrad. Seuls le Fasolt d'Alfred Reiter, qui semblait un peu empêché le soir de la première, et le Froh totalement hors de propos de Christoph Strehl, dénotent.

Un Rheingold limpide et intelligent, qui fait attendre avec impatience la suite de cette Tétralogie genevoise ! La Walkyrie sera à l’affiche du Grand Théâtre du 7 au 16 novembre.

Luc Hernandez

Wagner : L’Or du Rhin – Genève, Grand Théâtre, 9 mars, prochaines représentations les 21 et 24 mars 2013 / www.geneveopera.ch

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Photo : GTG/Carole Parodi
 

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