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L’Italienne à Alger à l’Opéra de Montpellier - Carlingue sans bastringue - Compte-rendu

Pour ouvrir sa saison, l’Opéra de Montpellier fait appel à une production de L’Italienne à Alger créée en 2012 à Nancy avec un certain bruit. Mais c’est finalement la restitution musicale, elle annoncée sans trompettes retentissantes, qui emporte l’adhésion. Pour un Rossini fringant et enlevé, qui ne pouvait plus fraîchement lancer les fastes lyriques montpelliérains.

Cela commence pourtant avec quelques incertitudes : une ouverture à rideau fermé brutale, avec ses timbales et grosses caisses qui sonnent excessivement dans la présence acoustique de l’Opéra-Comédie. Puis le rideau s’ouvre, pour laisser apparaître dans une atmosphère de grisaille et de poussière une carlingue déglinguée d’avion de ligne, incongrue mais attendue, puis un chœur tout à trac et le personnage principal, Mustafà, dans une émission et une colorature incertaines. Mais aussitôt après, tout se met parfaitement en place, dans une conjonction maîtrisée des différents, et difficiles, plans sonores.

© Marc Ginot

Michael Schønvandt (reconduit récemment dans ses fonctions de chef principal de l’Opéra et de l’Orchestre de Montpellier jusqu’en 2021), que l’on ne saurait penser a priori un spécialiste de Rossini, prend la partition à bras-le-corps. Les ensembles ébouriffés sont menés avec la rigueur indispensable, sans gommer les nuances et sans se laisser aller à une fougue incontrôlée. Il en est également des multiples subtilités d’orchestration, livrées pertinemment et sans se livrer à un quelconque effet démonstratif. Ce qui constitue le meilleur soutien aux chanteurs, solistes ou du chœur, dans des équilibres toujours maintenus. Il faut donc louer l’Orchestre de Montpellier Occitanie et le Chœur de l’Opéra de Montpellier, même si ce dernier pâtit parfois d’un emplacement scénique qui rend sa tâche malaisée (nous y reviendrons).

© Marc Ginot

Cette attention à la partition, celle établie par Claudio Abbado et qui fait aujourd’hui référence, se retrouve dans le choix présenté, absolument conforme et sans aucune coupure (hors quelques récitatifs abrégés). Autant dire que le plateau vocal a fort à faire, dans une vocalité exigeante assumée mais sans tomber dans les coups de gosier. Hanna Hipp s’acquitte glorieusement des difficultés du rôle d’Isabella (son air célèbre Pensa alla patria). On goûte également le joli timbre de ténor di grazia, tout à fait dans le style d’époque, d’Alasdair Kent, pour Lindoro le soupirant d’Isabella. Burak Bilgili retrouve prestance et verve pour le rôle du barbon basse de Mustafà, avec une savoureuse présence physique du personnage. Armando Noguera plante de sa voix de baryton assurée un Taddeo irrésistible. Adaptés tout autant, l’Elvira légère et ferme de Pauline Texier, ou le Haly pétulant de Daniel Grice. Les uns et les autres aussi à leur aise dans les ensembles échevelés qui leur reviennent, malgré des situations scéniques incommodes (dans le quintette du second acte, par exemple, à l’instar de ce que nous disions pour le chœur). Car, davantage que l’exploit individuel, c’est l’homogénéité vocale qui convainc.

© Marc Ginot
 
Alors la mise en scène ?... David Hermann a donc choisi de planter cette confrontation d’Italiens prisonniers du bey d’Alger, en attente de voguer vers leur patrie, dans une jungle africaine (ou amazonienne, on ne sait), à la suite du crash d’un avion de ligne. D’où la susdite carlingue (beau travail de décor de bois et de carton dû à Rifail Ajdarpasic, transporté par semi-remorque depuis Nancy), mais aussi une série de personnages dans des frusques dépenaillées et le visage couverts de masques crypto-africains. D’où aussi les embarras précités des interprètes, contraints à l’occasion de se maintenir en équilibre sur des pentes risquées… L’idée est amusante, dans un joyeux délire en phase avec le sujet, si la transposition peut paraître un peu gratuite. Reconnaissons toutefois que la direction d’acteurs se fait d’une extrême précision, sans abandonner au hasard les interventions des protagonistes dans un jeu juste. Un travail professionnel et sans accroc. Mais c’est la musique ardemment servie d’un jeune Rossini éclatant dans son génie, qui emporte tout.
 
Pierre-René Serna

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Rossini : L’Italiana in Algeri – Opéra de Montpellier, Opéra-Comédie, 29 septembre ; dernière représentation le 1er octobre 2017 (15h) / www.opera-orchestre-montpellier.fr/
 
Photo © Marc Ginot

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