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Lille - Compte-rendu - Tamerlano de Haendel compris


Il n’est pas si aisé que cela de monter Tamerlano, et Sandrine Anglade a relevé le défi avec un art de la direction d’acteur que l’on ne retrouve plus guère sur les scènes lyriques. Dispositif scénique épuré, peuplé de costumes vides tombés des cintres, qui laisseront leurs places lorsqu’ils y seront remontés à leurs contrepoids dorés tendant autant de barreaux. Bien vu car le vrai héros de Tamerlano est Bajazet, le prisonnier, celui dont la mort probable est la raison de l’action dramatique.

Anglade ajoutait aux chanteurs deux danseurs, réceptacles des émotions des protagonistes. Elle les lovait aux personnages lors de leurs airs les plus tourmentés pour créer de véritables statues du Bernin en mouvement. L’effet était saisissant. Emmanuelle Haïm (photo-contre) disposait d’une distribution sans faille. Le Tamerlano sadique de Bejun Metha emplissait tout l’opéra de Lille par la puissance de son instrument, et si ses ires du III (A dispetto d’un volto ingrato) furent si convaincantes vocalement, son jeu paru alors outré, seul bémol d’une prestation décoiffante.

Le Bajazet d’Allemano impressionnait par la puissance de son chant, son ténor sombre prenant des couleurs d’Otello, et sa mort vériste rappelait que le génie théâtral de Haendel éclate les cadres du style et voit au-delà des canons de l’art de son temps. La palme à l’Asteria de Carolyn Sampson, dont le soprano grandit saison après saison. Elle pouvait violenter ses couleurs de lait et couper le souffle de l’auditeur pour un « Cor di padre, e cord’amante » d’une émotion à faire pleurer les pierres. Le bel Andronico de Marina de Liso, le Léone caverneux de Paul Gay, l’Irène noble de Karine Deshayes faisaient un plateau vainqueur.

On n’en dira pas autant du Concert d’Astrée dont la sonorité est souvent terne. Emmanuelle Haïm n’a pas su débusquer les tensions dramatiques latentes qui permettent au I de ne pas être que cette interminable suite d’airs élégiaques ou meurtris, et lorsque le drame se noue, les moyens limités de son ensemble trahissaient souvent une direction trop confite dans les réflexes et pas assez à l’écoute du génie théâtral d’Haendel. L’orchestre de Tamerlano n’est pas le plus opulent que le « caro sassone » ait couché sur les portées, mais qui sait l’animer y trouverait immanquablement ce qu’Haïm n’a su y voir, une noblesse racinienne, un désespoir sans remède, une tragédie où la folie est toujours en embuscade.

Les parisiens pourront entendre ce Tamerlan après demain, Jeudi 14 octobre, au Théâtre des Champs-Elysées, mais sans la mise en scène de Sandrine Anglade, hélas.

Jean-Charles Hoffelé

Tamerlano de Haendel, Opéra de Lille le 9 octobre 2004, en version au concert le 14 octobre, Théâtre des Champs-Elysées, 19h30.

Photo: DR

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