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Lifar et Balanchine par le Ballet de Nice - Les ailes du classicisme - Compte-rendu

Eric vu An, sur sa base de l’Opéra de Nice, est un fidèle : à ses racines académiques, à ses mentors, à ses bons génies, comme Claude Bessy, à ses génies tout court, de Béjart à Lifar et Balanchine. Sa volonté de faire vivre à tout prix un répertoire qui tend à s’étioler, lui donne des ailes, même si sa compagnie, pour enthousiaste qu’elle soit, n’a pas toujours la virtuosité suffisante pour affronter ces sommets de technique et de style.

Peu importe, le pilote maintient le cap : menés à grandes guides, toujours la barre plus haute, les danseurs ne s’en portent que mieux. On avait assisté avec bonheur, l’an passé, à la renaissance d’une merveille de Béjart, la Cantate 51, et d’un bijou signé jadis par Gene Kelly pour Bessy, le Pas de dieux.
Cette fois, voici une savoureuse confrontation : deux pièces de Lifar face à deux autres de Balanchine. De Suite en Blanc, sur Namouna de Lalo, Bessy, encore en piste pour l’inculquer aux danseurs, dit avec son humour bravache qu’elle y a tout fait. Et ajoute que le plateau de Nice, plus réduit que celui de Paris, permet de mieux apprécier les finesses de cette miniature tracée d’un pinceau délicat, faussement nonchalant mais d’une féroce précision.
Cette pièce, l’un des chefs d’œuvre du maître russe, est l’une des plus difficiles qui soient à faire revivre, tant son style alangui contraste avec la rigueur de ses figures classiques. Les danseurs s’en sont acquittés avec bonheur, malgré la nouveauté que cet univers nostalgique, hérité des ballets russes et adapté au style français, représente pour eux. En ouverture, le beau et grave Roméo et Juliette sur Tchaïkovski, tout à l’inverse du précédent par le caractère elliptique et puissamment expressif que Lifar voulait donner au drame : en piste un couple raffiné, Julia Bailet et Alessio Passaquindici, à l’admirable élévation.

Lifar, personnage complexe et contesté, put prendre la direction du Ballet de l’Opéra lors de la défection de Balanchine qui devait initialement se charger de cette mission. On n’a pas à le regretter, tant Mister B. fut à sa place à New York, qui convenait à son tempérament aventureux et moderne, bien plus qu’au romantique Lifar. Eric Vu An a donc sélectionné deux pièces dont l’une est gracieuse et l’autre majeure : pour la Chaconne, Gluck sert de trame, et permet aux danseurs de développer une élégance et une grâce que l’on voudrait juste plus poétique. Mais ce n’est ni la faute de Sophie Benoît, d’Aldriana Vargas ou de Cesar Rubio Sanchez si l’on est plus charmé que touché. C’est celle de Balanchine, peu à son aise dans cet univers mélancolique.

En revanche, le régal est venu de l’Allegro brillante, vif, étincelant, aux effets de quinconce impeccables et toujours inattendus, porteur d’humour autant que de joie d’occuper l’espace. Les danseurs ont montré leur aisance et leur brio sur cette ultime partition de Tchaïkovski, malgré les chausse-trappes du tapis de sol, dangereusement glissant.

On ne peut qu’admirer Eric Vu An pour ce regard qu’il porte sur le patrimoine, parce que dit-il, « il y a dans la danse classique une forme de courtoisie à laquelle je suis très attaché. Elle nourrit la culture et le regard que les jeunes gens portent sur le monde ». Peu osent le faire aujourd’hui, à l’exception d’Elisabeth Platel avec ses spectacles de l’Ecole de danse de Nanterre.

Jacqueline Thuilleux

Opéra de Nice Côte d’Azur. Représentation du 18 avril 2012.
Spectacle donné jusqu’au 22 avril 2012.

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Photo : D. Jaussein
 

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