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Les Rois de Philippe Fénelon : les ailes du dédale

Création attendue à l’opéra de Bordeaux Les Rois de Philippe Fénelon. A l’exception du Monségur de Landowski, donné à Toulouse et aussitôt repris à Bordeaux, la dernière création lyrique bordelaise date de 1972 avec Eurydice de Jean-Michel Damase.

Difficile de parquer le compositeur de Salammbô dans une écriture particulière vu la multiplicité des signaux délivrés dans cette partition, dont le premier jet accuse une quinzaine d’années. Revue et simplifiée, l’écriture orchestrale recèle encore bien des leurres, faisant assaut de sophistication aveuglante pour mieux s’adoucir et surprendre dans les derniers actes, lorgnant vers une narration malicieusement prosaïque (hymne grotesque du III) ou allusive (surgissement de Tristan, échos de la scène d’assassinat de Wozzeck pour la chute de Minotaure).

Le moins que l’on puisse dire est que Philippe Fénelon (photo ci-dessus) est un inventeur prolixe qui n’abuse d’aucun de ses effets, restant ouvertement énigmatique. Stimulant mais épuisant. Dans la fosse, le vertigineux tissage de barbelés du premier acte suggère un enchaînement effréné d’alvéoles musicales apparemment étanches, façon Fantôme de la Liberté de Buñuel. Un discours à l’efflorescence contenue déployant une soyeuse combinatoire de timbres (cordes, percussions), alliages fugitifs qui brouillent le repérage mélodique. Ces figures géométriques au statisme trompeur s’animent pourtant au fil de l’ouvrage, porté par un Orchestre de Bordeaux Aquitaine épidermique et concentré et un Thomas Rösner rigoureux au pupitre. Comme le préfigure l’intervention de Pasiphaé (une solide Aline Kutan dans cet air façon Reine de la Nuit déjantée), les lignes vocales disruptives se canalisent et s’articulent progressivement, réfractées au chœur par une écriture décidément féconde. Le chant tropé et erratique du début, peu flatteur pour Gilles Ragon, se fera plus ample pour Ariane et Minotaure (campé par le convaincant Stephen Salters, timbre rond et diction impeccable). Ce rempart sonore liminaire protège les lignes élancées du deuxième acte, consacré à Ariane, avant de s’ouvrir aux superpositions rythmiques du III, aux reliefs saisissants.

Chaque acte étant centré sur un personnage (Minos, Ariane, Minotaure), l’ensemble figure un vaste triptyque aux volets clairement identifiés mais évidemment perméables au cheminement dramatique du livret de Cortázar, qui instille dans le mythe l’élan incestueux d’Ariane vers Minotaure, et la résignation de ce dernier. Le pan de labyrinthe aux formes arrondies de Yannis Kokkos s’impose sobrement façon ruban de Möbius, suggérant que le dédale est de chaque côté de la muraille.

Nicolas Baron

Les Rois de Philippe Fénelon, Bordeaux, Grand Théâtre, le 23. Mais aussi le 25 mai et les 1 et 4 juin.

Photo : Guy Vivien
 

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