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Les Puritains (version de Naples) au festival Radio France Occitanie Montpellier – Le feu et l’artifice – Compte-rendu

La route jusqu’à la scène fut longue pour l’ultime chef-d’œuvre de Bellini. De la version en trois actes créée à Paris, le compositeur fit une variante en deux actes destinée au Teatro San Carlo dans laquelle Elvira et Riccardo, son puritain de prétendant éconduit, muent respectivement de soprano et baryton à mezzo – Malibran à qui le rôle était destiné oblige – et ténor. La légende ou l’excuse officielle, c’est selon, veut que sur son chemin vers Naples la partition resta en rade, c’est le cas de le dire, à Toulon, bloquée par une épidémie de choléra qui emporta sans doute la vie de braves toulonnais mais aussi accessoirement l’annulation des représentations. L’histoire bien certaine en revanche est que la création n’eut finalement lieu que 150 ans plus tard, en 1985, à Londres, sur la terre même de la première révolution anglaise, mère de toutes les révoltes anti-absolutistes qui sert de toile de fond historique au livret des Puritains. Toile de fond aux ombres régicides d’ailleurs prudemment édulcorée à l’attention sourcilleuse de la censure napolitaine, quoiqu’elle n’en vît finalement pas la couleur.
 
Rareté absolue des scènes lyriques, cette version malgré tout dite de Naples était présentée en format de concert pour une unique représentation dans le cadre du prolifique festival Radio France Occitanie Montpellier dont l’édition 2017 se range précisément sous la bannière des révolutions.

Jader Bignamini © Mard Ginot
 
Des révolutions, la représentation a assurément la vigueur et la détermination, imprimées par l'enthousiasme allant et décidé de la direction du jeune chef italien Jader Bignamini à la tête de l'Orchestre National Montpellier Occitanie. Fière introduction qui fait oublier tant d'ingrates fanfares entendues dans ces pages, formidable urgence menaçante dans le duo du premier acte entre le preux Arturo et la reine Enrichetta, bouleversante mélancolie affligée qui ouvre la scène de folie du deuxième acte, le maestro et ses musiciens racontent assurément une histoire  et l'on se réjouit que les partis pris l'emportent crânement sur une lecture routinière.
Mais tant de fièvre finit par virer à la cavalcade, en témoigne notamment la course éperdue des contrebasses pressées d'arriver à l'entracte, et tant d'emportement conduit à privilégier la puissance à la tension et la tonitruance à la caractérisation. Aux mêmes causes les mêmes effets, et le chœur luxueux, constitué des forces locales de l'Opéra de Montpellier et du Chœur de la Radio Lettone, d'une rigueur et d'une solidité à toute épreuve, use des mêmes accents puissants et martiaux dans la félicité, l'abattement ou la clameur vengeresse.

© Marc Ginot
 
À l'avant-scène, les solistes sont à la lutte, voire s'y épuisent un brin, décoiffés par la surenchère instrumentale qui vient régulièrement couvrir leurs mots. Injonction tutta forza plutôt qu'un choix prima la musica. Kihwan Sim, aussi incisif que grave Gualterio, le père absent, Dmitry Ivanchey, Bruno de belle prestance, et Chiara Amarù, Enrichetta plutôt discrète mais élégamment déliée, livrent de belles performances. L’émotion cherche néanmoins tant bien que mal son chemin, déjà très encombré par l'embarrassant Arturo du ténor Celso Albelo, toujours aussi nasal, s'acharnant à faire un sort mauvais à tous les aigus dont Bellini a littéralement truffé la partition. Son maniérisme vire ici à la caricature mi hurleuse mi mielleuse la plus affirmée. Tout l'opposé de son rival malheureux, l'inépuisable et radieux ténor américain René Barbera, Riccardo certes taillé d'une pièce encore jeune et uniformément fringante comme pour des épreuves de concours (au hasard Operalia qu'il a remporté en 2011), mais pièce de l’étoffe la plus riche. À côté, la basse pourtant solide de Nicola Ulivieri, semble un peu fade et à court de morbidezza pour Giorgio, l'oncle aimant et sage, quasi père de substitution de l’héroïne malmenée.

 Karine Deshayes © Marc Ginot

Malgré les embûches d'une direction qui ne la ménage pas et celles des effrayantes effusions de son Arturo qui bouscule salement la ferveur transie de leur long duo de retrouvailles, Karine Deshayes nous fait entendre et croire que cette Elvira a été écrite pour elle et dispense de bout en bout une sincérité habitée bienvenue dans cette soirée.  Affaire de tessiture qui met en valeur l'élégance pudique de son mezzo mordoré et la richesse brillante de ses aigus sollicités à l'envi. Affaire d'interprétation, constamment sensible et captivante pour dire aussi bien l'ardeur que la supplication douloureuse dans l'inflexion des mots, dans l’intention de la colorature et jusque dans le langage du corps qui ne demande qu'à s'affranchir du pupitre de concert. La technique belcantiste de la mezzo est implacable, on le sait et la polonaise du premier acte nous le rappelle encore, mais sa pyrotechnie haletante ou suspendue ne sacrifie en rien l'expressivité.
 
L’art de l’affect sans l’affectation, juste tribu à l'élévation de l’écriture mélodique bellinienne, est une vertu cardinale. Vertu inégalement partagée sur le plateau traversé des embrasements les plus héroïques comme des plus périlleux. Les révolutions, mêmes festivalières, ne vont pas sans débordements mais on ne regrette jamais de les avoir faites.
 
Philippe Carbonnel

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Bellini : Les Puritains (version Naples 1835) - Montpellier, Opéra Berlioz, 15 juillet 2017 / Festival Radio France Occitanie Montpellier, jusqu’au 28 juillet : lefestival.eu/

Photo © Marc Ginot

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