Journal

Les Fées du Rhin d’Offenbach à l’Opéra de Tours – Historique mais inégal – Compte-rendu

Données en version de concert en 2002 à Montpellier (1), puis en 2005 à Lyon (en allemand) (2), Les Fées du Rhin d’Offenbach – ouvrage en quatre actes originellement conçu en français, mais créé en allemand au Hofoperntheater de Vienne en février 1864 – attendaient leur résurrection scénique en langue française. C’est chose faite grâce l’Opéra de Tours (en coproduction avec le Théâtre de Bienne en Suisse et avec le soutien du Palazzetto Bru Zane) dans la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau (qui signe en outre décors et costumes) sous la direction de Benjamin Pionnier, qui s'appuie sur l’édition critique établie par le musicologue Jean-Christophe Keck.

© Sandra Daveau
 
La scénographie actualise le propos en situant l’action (à l’origine au XVIe siècle) dans une forêt des Balkans où une communauté de trouve sous la menace d’un conflit ethnique imminent. L’intervention de Conrad, prédateur à la tête d’une milice commettant viols et assassinats, installe une violence exacerbée avec force kalachnikovs au cours des deux premiers actes. Le fantastique finit par l’emporter avec l’apparition des esprits, des elfes et la transmutation de Laura (égérie de la communauté) qui, blessée d’une balle dans le dos, renaît en fée au nom de son amour idéalisé pour Franz. On découvre en définitive que le bourreau Conrad est en réalité le père de l’héroïne, au prix des contorsions du livret concocté par Charles Nuitter et le compositeur. Pierre-Emmanuel Rousseau assure avec habileté la transition entre la réalité et un romantisme onirique proche de l’Oberon de Weber, mais insiste trop sur la brutalité ambiante, ce qui nuit aux scènes intimes. En revanche, belles et vidéos de Charlotte Rousseau et lumières suggestives de Gilles Gentner.
      

© Sandra Daveau

Grand opéra romantique, l’ouvrage exige beaucoup d’endurance de la part des chanteurs qui apportent un soin particulier à la prononciation française et impressionnent sur le plan théâtral. Dans le rôle redoutable de Laura et de la Fée, la soprano turque Serenad Burcu Uyar (photo) émeut sans cependant soigner suffisamment nuances et vibrato. Sa mère Hedwig est interprétée avec sensibilité et persuasion par Marie Gautrot qui possède un registre très large mais peine quelque peu dans un grave à la limite du chant parlé. Remarquable en diabolique Conrad, le vaillant Jean-Luc Ballestra doit faire preuve d’une tension constante et d’une grande charge émotionnelle, ce dont il s’acquitte avec style et ardeur au prix d’une légère fatigue en fin de représentation. Franz, personnage ambigu et tourmenté (il est atteint d’amnésie et, devenu mercenaire, oublie son amour pour Laura), est servi par Sébastien Droy, toujours pertinent dans ses interventions. Guilhem Worms en Gottfried, amant éconduit ivre de vengeance à la voix profonde de basse et Marc Larcher, en paysan et petit mercenaire, complètent avec bonheur la distribution.

Benjamin Pionnier © benjaminpionnier.com

A la tête de son Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours (dont il a pris les rênes en 2016) et des excellents Chœurs de l’Opéra de Tours, Benjamin Pionnier privilégie la précision sur la sensualité, et durant plus de trois heures de musique (des coupures auraient été bénéfiques), doit veiller constamment à maintenir l’intensité.
Assez prosaïque dans l’Ouverture, il ne réussit pas toujours à capter l’attention  – mais n’est pas le seul coupable face à une partition souvent éclatée ... –, assumant, non sans pesanteur parfois, le caractère souvent weberien de cet Offenbach. Les musiciens manifestent une réceptivité de tous les instants face à une sobre gestique et brillent dans les solos (superbes violon, violoncelle et cor), les intermèdes et le ballet (non dansé) faisant l’objet d’une attention toute particulière. Sensation mitigée au sortir de la représentation, malgré la portée historique de cette première scénique française.
 
Michel Le Naour

(1) Ce concert, sous la direction de Friedemann Layer (avec R. Schörg, N. Gubisch, Piotr Beczala, etc.), a fait l’objet d’un enregistrement (Universal/Acccord CD 472 920-2)
 
(2) Signalons que l’ouvrage a été représenté en mars dernier, en version allemande, à l’Opéra national hongrois de Budapest
 
Offenbach : Les Fées du Rhin - Tours, Opéra, 2 octobre 2018
 
Photo © Sandra Daveau

Partager par emailImprimer

Derniers articles