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Les Archives du Siècle Romantique (7) – Phèdre de Lemoyne à travers la correspondance d’Antoine Dauvergne

Début d’année résolument découvreur pour Julien Chauvin et Le Concert de la Loge : après la résurrection de Chimène ou le Cid (1783) d’Antonio Sacchini, dans une mise en scène aussi économe de moyens qu’efficace de Sandrine Anglade, le jeune chef et son équipe restent dans l’univers musical français des années 1780 et s’attaquent à Phèdre (1786) de Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796), sur un livret de François-Benoît Hoffmann. On doit cette initiative au Palazzetto Bru Zane et, comme cela avait été le cas précédemment pour Atys de N. Piccini et Le Saphir de F. David, l’ouvrage est proposé dans une version réduite (pour 4 chanteurs et 10 instruments); mais à la différence des deux exemples précédents, exécutés en version de concert, Julien Chauvin et son équipe donneront Phèdre dans une mise en scène signée Marc Paquien. Confiée aux voix de Judith Van Wanroij, Enguerrand de Hys, Thomas Dolé et Diana Axentii, la production sera d’abord présentée au théâtre de Caen les 27 et 28 avril, avant sa reprise aux Bouffes du Nord, les 8, 10 et 11 juin, dans le cadre du 5ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, puis à l’Opéra de Reims le 10 octobre.
Les Archives du Siècle Romantique, que Concertclassic vous propose chaque mois en collaboration avec le PBZ, mettent cette fois l’accent sur des documents présentés en libre accès sur bruzanemediabase.com, des lettres d’Antoine Dauvergne (1713-1797) à Denis Papillon de La Ferté, riches d’informations quant à la partition de Lemoyne et aux circonstances de sa création au château de Fontainebleau, le 26 octobre 1786
A.C.

Lettres d’Antoine Dauvergne – directeur de l’Académie royale de musique – à Denis Papillon de La Ferté – Intendant des Menus-Plaisirs – à propos de Phèdre de Lemoyne et de Mme Saint-Huberty.
Extraits des lettres mises en ligne sur bruzanemediabase.com

bruzanemediabase.com/fre/Documents/Temoignages/Dauvergne-Antoine-Correspondance-avec-Denis-Papillon-de-La-Ferte-conservee-aux-Archives-nationales-1780-1782-1785-1790
 

 

© DR
 
O1 619 no 196
 
À Paris, ce 15 octobre 1786
 
Monsieur,
L’opéra de Phèdre que nous avons répété généralement hier a duré trois heures ; le ballet du 2e acte dure 22 minutes ce qui coupe l’action de manière que le 3e acte ne fait point son effet. Toutes les personnes qui étaient à la répétition ont pensé de même ; je l’ai dit à M. Lemoyne, il l’a senti comme tous les auditeurs. Il ne serait, je crois, point éloigné de consentir à ne laisser qu’un ou 2 airs de danse dans ce ballet pour, avec les chœurs, célébrer le retour de Thésée et ne pas le tenir debout pendant 22 minutes pour voir danser un ballet qui ressemble à la tragédie des Jésuites, ce qui a occasionné la réponse que m’a faite M. Gardel lorsque je lui ai proposé avant la répétition, de faire danser dans cet opéra les demoiselles Roze et Laure ; il m’a répondu avec assez mauvaise grâce, qu’il prendrait les ordres de monseigneur le duc de Villequier sur cela. Je n’ai pas insisté ; mais on voit clairement qu’il ne donne toute son attention et tous ses soins qu’à faire briller ses ballets d’actions, en négligeant tout ce qui peut concourir au soutien d’un opéra ; j’ai cherché dans ma tête un moyen de faire paraître les deux jeunes filles, ce serait, d’élaguer le ballet du 2e acte, de n’y laisser qu’un ou deux airs, et comme l’opéra finit par la mort de Phèdre suivie d’un chœur fort triste, il serait peut-être très bien de baisser le rideau et de faire comme nous avons fait à l’Opéra, de donner le divertissement du 3e acte de Dardanus dans lequel les deux débutantes ont eu un si grand succès.
Si vous jugez mon idée bonne et que vous la fassiez goûter à monseigneur le duc de Villequier, je crois que je viendrais à bout de déterminer M. Lemoyne à consentir à cet arrangement ; je pense bien que M. Gardel ne goûtera pas cette proposition, mais, je crois, que pour le bien de l’Opéra, et pour que la reine ait le plaisir de voir ces deux débutantes, il n’y a pas d’autres moyens à employer.
J’attendrai votre réponse pour négocier cet arrangement avec M. Lemoyne.
J’ai l’honneur d’être, avec un respectueux attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Dauvergne
 
M. Gardel pourra répondre qu’il a placé tous ses danseurs dans le 2e acte de Phèdre, mais, on peut lui dire qu’ils seront vus dans son ballet du Déserteur. D’ailleurs il peut placer son frère dans le divertissement de Dardanus en y ajoutant un ou deux airs de ceux que l’on supprimera et qu’il danse dans Phèdre.
Je reçois, depuis cette lettre écrite, la vôtre d’hier, dans laquelle vous me dîtes l’impatience que l’on a de voir les débutantes ; j’ai l’honneur de vous proposer ci-dessus le seul moyen de les faire paraître avec avantage.
J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint la réponse à Mme de Baudeville.
J’ai reçu l’arrêté du comité sans approbation.
 
O1 619 no 200
 
À Paris, ce 21 octobre 1786
 
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint la lettre que j’ai reçue ce matin de M. Hoffmann auteur du poème de Phèdre. Vous verrez que le nombre de billets qu’il demande pour la répétition générale de lundi, joint à celui que demanderont les principaux acteurs du chant et de la danse ferait, de cette répétition, une représentation complète, d’autant que M. Lemoyne auteur de la musique m’a expliqué aujourd’hui, que la plupart de ces billets seraient donnés à des personnes qui amèneraient leur compagnie. Je vous prie, Monsieur, de me faire passer les ordres de monseigneur le duc de Villequier sur cela, ou de m’en donner vous-même, pour que je puisse les communiquer demain au soir ou lundi matin à messieurs les auteurs, à qui j’ai pourtant pris sur moi d’offrir [à] chacun 50 billets, en leur observant que c’était pour les tirer de presse vis-à-vis des personnes de distinction à qui ils ont promis. M. Lemoyne m’a répondu que ce n’était tout au plus que le quart de ce qu’il lui faudrait. Il m’a ajouté que Mlle Saint-Huberty avait fait une liste pour elle, de 30 à 40 personnes. Je vous supplie donc, Monsieur, de me faire passer des ordres prompts en conséquence desquels je puisse me conduire, et que je puisse comme j’ai eu l’honneur de vous le dire communiquer à messieurs les auteurs.
J’ai celui d’être, avec un respectueux attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Dauvergne
 
Je pense qu’il serait très indécent de donner une représentation gratis d’un ouvrage dont le roi et la reine doivent avoir les premiers ; passez-moi s’il vous plaît cette observation.

 

Judith van Wanroij © wanroij.simpl.com

O1 619 no 271

À Paris, ce 9 juillet 1787
 
Monsieur,
Encore une variation dans le répertoire de cette semaine, voici pourquoi. Mme Saint-Huberty est arrivée samedi, comme elle l’avait promis. Elle a trouvé ma lettre qui lui annonçait que l’on donnerait Phèdre mardi. Je l’ai fait prévenir hier que la demoiselle Gavaudan étant malade, ne pourrait pas chanter le rôle d’Œnone et que ce serait Mme Buret ; elle a renvoyé sur-le-champ me dire qu’elle ne voulait pas risquer pour sa rentrée de chanter un rôle de cette conséquence avec une femme qui n’était rien moins que sûre et que le rôle d’Œnone était trop conséquent pour qu’elle osât se mettre en scène avec cette actrice. Elle m’a fait dire en même temps qu’elle chanterait, excepté Phèdre, tout ce que je voudrais ; alors je lui ai fait proposer Armide qu’elle a accepté et qu’elle chantera demain ; vendredi Tarare et dimanche Panurge.
Pour pouvoir donner Tarare plus souvent voici la proposition que je ferai samedi à l’assemblée du répertoire qui est de le donner après vendredi,
Le mardi 17
Le dimanche 22
Le vendredi 27
Le mardi 31
et successivement de cette manière qui est la seule pour ne point fatiguer les acteurs et retirer promptement les frais qu’on a faits pour la mise de cet opéra et attendre celle de Théodore que je ne puis commencer à répéter que samedi prochain à cause de la copie des rôles dont les trois Premiers comportent plus de trois cents pages et qui n’ont pu être donnés qu’hier aux Premiers Acteurs ; les doubles le seront demain au soir. Comme il est nécessaire qu’ils soient prévus pendant quelques jours, j’ai été forcé de remettre la première répétition à samedi ; les autres se succèderont sans interruption. J’ai appris hier, par le chirurgien de la demoiselle Gavaudan cadette qu’elle était hors de danger et que sous dix ou douze jours elle serait en état de venir aux répétitions de Théodore dans lequel elle a un rôle considérable, dont j’ai fait donner le double à la demoiselle Mulot qui y sera très bien placée d’autant que c’est un rôle en partie, à sentiments.
J’ai entendu hier le Sr Lecourt jeune haute-contre de l’École dont j’ai été on ne peut pas plus content ; il [a] chanté et joué une grande partie du rôle d’Hippolyte dans l’opéra de Phèdre avec une très belle voix et une grande intelligence. Je crois, Monsieur, que les grands progrès que fait ce jeune homme mériteraient une gratification. Si vous l’entendiez, je crois que vous penseriez de même.
M. Despréaux m’a dit de vous rappeler que vous lui aviez promis ses entrées à l’amphithéâtre.
M. et Mme de Saint-Vast ont entendu hier l’opéra dans la loge de monsieur le maréchal de Soubise où j’ai eu l’honneur de leur parler ; c’était pour l’essayer et voir si elle leur conviendrait mieux que la leur. Ils ont dit au Sr de Nesle qu’ils rendraient réponse aujourd’hui dans le courant de la journée. J’attends cette réponse pour écrire à M. Amelot au sujet de son quart.
J’ai l’honneur d’être, avec un respectueux attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Dauvergne
 
PS : Je reçois dans l’instant une lettre de M. de Saint-Vast qui accepte trois quarts dans la loge de monsieur le maréchal de Soubise et qui remet en totalité celle qu’il quittera. Si la famille de feu monsieur le maréchal voulait la garder jusqu’au mois d’octobre parce qu’elle est payée jusqu’à cette époque, alors M. de Saint-Vast garderait son ancienne loge jusqu’au 30 septembre et n’entrerait en jouissance qu’au mois d’octobre. Je serai informé d’ici à quelques jours de ce que désire faire la famille de feu monsieur le maréchal sur cet objet. Si elle quitte la loge dans ce moment on remboursera à la succession la non jouissance d’ici au mois d’octobre.
Je vais prévenir M. Amelot dans le moment de tout ceci, et qu’il peut compter sur un quart dans cette loge soit à présent ou au mois d’octobre.
 
O1 619 no 434
 
À Paris, ce 18 décembre 1788
 
Monsieur,
Malgré l’envie extrême que j’ai d’avoir l’honneur de vous voir, je n’ose rompre les arrêts que m’a ordonnés mon médecin, qui m’a défendu encore avant-hier de ne point quitter ma chambre. Je suis cependant descendu hier à la répétition pour entendre l’effet du changement du premier acte qui m’a paru très bien quoique messieurs Rey et Chéron disaient qu’ils aimaient mieux ce que l’on avait ôté, mais ils n’ont pas osé me le dire à moi-même. Aucun poème ne sera délivré qu’avec le carton.
J’ai chargé M. Francœur de tâcher d’avoir de M. Hoffman son poème de Nephté ne fut-ce que pour deux jours, parce que j’en ferai tirer tout de suite une copie. J’ai appris hier que cet auteur est si fort dégoûté du Sr Lemoyne qu’il a prié une personne de lui procurer une entrevue avec M. Cherubini ; ils se sont abouché et sont convenus de travailler ensemble à un ouvrage qui ne ressemblera aucunement au genre favori du Sr Lemoyne et de la demoiselle Saint-Huberty, qui ne voient d’agréable en opéra que les sujets où il est question d’inceste, de poison, ou d’assassinats. Enfin cet homme répugne à travailler davantage dans ce genre ; il a demandé le plus grand secret à la personne qui l’a fait aboucher avec le Sr Cherubini, parce qu’il craint avec raison les deux plus méchantes créatures qui existent, le Sr Lemoyne et la Saint-Huberty.
Je suis, j’ose le dire, peut-être plus peiné que vous des mauvaises recettes que nous faisons, mais, en réfléchissant sur l’éloignement où nous sommes relativement à la rigueur de la saison, il ne paraîtra pas étonnant que les personnes à équipages n’exposent pas leurs chevaux à se casser les jambes et à les laisser pendant quatre heures au vent de nord ; les piétons courent des risques à marcher la nuit. Enfin, le seul spectacle qui soit fréquenté c’est celui des variétés, parce qu’il est placé dans un local plus à portée du centre de Paris.
Quant à l’idée que l’on vous a donnée de l’Opéra de Démophon, je ne la crois pas juste, car je suis persuadé que cet ouvrage prendra très bien lorsque le temps se détendra.
J’ai l’honneur d’être, avec un respectueux attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Dauvergne  

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J.-B. Lemoyne : Phèdre
27 et 28 avril 2017
Caen – Théâtre
theatre.caen.fr/Spectacles/ph%C3%A8dre
 
8, 10 et 11 juin 2017
Paris – Bouffes du Nord
www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/festival-palazzetto-bru-zane-a-paris
 
10 octobre 2017
Reims - Opéra

 
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